Au prix de quelques accommodements avec l'histoire, MV-Agusta reste la plus emblématique des marques de motos. Les records sont faits pour être battus. Si, avec ses 275 Grands Prix, MV-Agusta a longtemps détenu le plus beau palmarès en Championnat du monde de vitesse (hors marques japonaises), Aprilia est désormais devant avec 294 victoires, chaque saison comprenant aujourd'hui deux ou trois fois plus de manches qu'à l'époque.
Peu importe, car durant toutes ces années MV a peut-être vaincu sans péril, mais il n'a pas triomphé sans gloire. Ses pilotes ne se contentaient pas d'enfiler les titres comme d'autres les perles, ils mettaient au contraire un point d'honneur à battre chaque année leur record du tour ou leur temps de course, à circuit égal, par rapport à la saison précédente. Et tant pis si dans le feu de l'action ils reléguaient régulièrement le deuxième à un tour..., voire deux, comme Hailwood à Monza en 1963 !
On ne peut donc pas reprocher au comte Domenico Agusta d'avoir manqué de panache. Certes, il disposait déjà de moyens importants lorsqu'il lança sa marque en 1945, puisque son père avait fondé en 1919 l'entreprise aéronautique Meccanica Verghera. Celle-ci avait pris une envergure considérable, jusqu'à ce que l'après-guerre la contraigne à une reconversion plus "terrestre", comme les autres avionneurs lombards qu'étaient Macchi et Caproni. Il n'en a pas moins engagé des sommes démesurées dans sa "danseuse".
Quand Gilera, Mondial et Moto Guzzi, exsangues, se retirent des Grands Prix fin 1957, Agusta ne les suit pas : la moto ne va pas fort, c'est un fait, mais il a acquis la licence des hélicoptères américains Bell en 1952, et ses affaires restent globalement florissantes. Il continue, dans toutes les catégories (125, 250, 350 et 500 cm3) en s'offrant les services des meilleurs pilotes, de Surtees à Ubbiali, de Hocking à Provini et accomplit une razzia sur les Championnats du monde. Sur certaines épreuves, MV déplace jusqu'à 27 motos pour les quatre cylindrées et une bonne vingtaine de mécanos !
Les machines de série sont fiables, sinon affriolantes, et MV assortit leur vente d'une garantie de 100 000 km à partir de 1959. Les années 60 voient l'émergence des Fiat 600, puis 500, et Agusta devine que l'issue n'est plus dans la moto utilitaire, mais dans le prestige : il lance en 1966 une 600 à quatre cylindres qui préfigure les grosses cylindrées des années 70. Il n'en réduit pas pour autant ses efforts en compétition, et continue à truster les titres sans regarder à la dépense, malgré l'engagement massif des Japonais en petites cylindrées. Il se concentre sur les 350 et 500, avec Giacomo Agostini, son pilote fétiche, qui donne du fil à retordre à Honda. Jusqu'à ce que les Japonais abandonnent à leur tour les Grands Prix, laissant de nouveau le comte Agusta jouer tout seul.
Ce confort sera de courte durée : Domenico Agusta meurt en 1971, et son frère Corrado n'est habité ni de la même passion... ni du même talent. Quand les Japonais reviennent en Championnat du monde en 1973, les MV à bout de souffle ne tiennent plus la cadence et le déploiement dans l'hélicoptère signe l'arrêt de mort des motos en 1977. MV aura quand même produit plus de 260 000 unités en une trentaine d'années, ce qui est tout à fait respectable.
Renaissance chaotique
Quinze ans plus tard, les frères Castiglioni annoncent avoir acquis les droits sur MV-Agusta. Héritiers d'une belle affaire de métallurgie du côté de Varèse, ils avaient déjà relancé Aermacchi en 1978 sous le nom CaGiVa et repris Ducati en 1985 puis Husqvarna et Morini en 1987. Ils entament en 1998 la production d'une 750 sportive à quatre cylindres, fort joliment dessinée par Massimo Tamburini, le créateur de la Ducati 916, et qui reprend les couleurs historiques de la marque, sang et argentNéanmoins, les affaires deviennent vite difficiles et les frères Castiglioni doivent se défaire une à une de leurs diverses affaires de moto. MV-Agusta est d'abord sauvée par Banca Intesa en 2003, avant d'être vendue au Malaisien Proton en 2004. Un fonds d'investissement la reprend en 2006 qui la cède à Harley-Davidson en 2008 et Claudio Castiglioni finit par la récupérer en 2010. Mais sans son frère Gianfranco, accaparé par les autres entreprises du groupe. Il décède en août 2011 et c'est son fils Giovanni qui a depuis repris les commandes.
Source : lepoint.fr