Faut-il s’attendre à une enchère record pour la Ferrari 330 P3/P4 de Jim Glickenhaus que Bonhams vend à Pebble Beach?
C’est l’une des questions qui taraude le monde de la collection depuis des lustres? Combien vaut le sport-prototype Ferrari 412 P? En d’autres termes, cette Ferrariaussi connue sous l’appellation P3/P4 peut-elle approcher la cote d’une Ferrari250 GTO ou d’une Bugatti 57 SC Atlantic? On sait que les 135 millions d’euros déboursés l’an dernier pour l’une des deux Mercedes 300 SLR coupé Ulhenhaut peuvent difficilement être atteints.
Avec la vente par la maison anglo-saxonne Bonhams du numéro de châssis #0854, un modèle compétition-client, on va enfin pouvoir être fixé. Il est vrai que le marché manque de repères puisqu’il est rare que ces machines changent de mains.
L’exemplaire recarrossé en spider Canam (châssis #0858) proposé aux enchères par RM Auctions à Maranello au printemps 2009 n’avait pas trouvé preneur.
L’arme du constructeur de Maranello durant la saison 1967 d’endurance n’est pas seulement considérée comme l’une des plus belles voitures au monde. Elle occupe aussi une place à part dans la nomenclature de la Scuderia Ferrari.
Ce prototype n’a couru que l’espace de la saison 1967, il avait été élaboré pour défendre les couleurs de Maranello dans le Trophée international des prototypes et barrer la route de Ford dans la Sarthe. Il a laissé une trace indélébile dans l’histoire de la compétition. La P4 est l’actrice d’une pièce étonnante: David contre Goliath. Ferrari, le petit artisan de l’Émilie-Romagne, affronte le géant américain Ford pour la suprématie du championnat de voitures de sport. Le duel atteint son paroxysme au Mans.
La P4 est la fille d’un orgueil blessé. En 1966, le rouleau compresseur Ford a terrassé Ferrari. Henri Ford II tient sa revanche. L’héritier de la firme de Dearborn s’était mis en tête de racheter Ferrari après avoir assisté à l’échec des Cobra face aux 250 GTO aux 12 Heures de Sebring 1963. Les discussions furent vite engagées. Mais plus elles avançaient, plus Enzo Ferrari devenait réticent.
Lors d’une réunion qui eut lieu le 13 mai 1963, alors que les Américains espéraient aboutir à un accord définitif, l’Ingeniere laissa tout tomber. Il semble que l’Italien avait utilisé les négociations en cours avec Ford pour faire pression sur Fiat avec qui il allait lier son sort. Lorsqu’il apprit l’échec de la transaction, Lee Iaccoca, furieux, décida de lancer la construction d’une voiture de course capable de damer le pion à Ferrari. De ce projet naît la GT40. C’est ainsi que Ford touche au but en installant trois de ses prototypes sur le podium du Mans 1966.
Les Ferrari P3 ne peuvent lutter.
Enzo boit le calice de l’amertume. Mais, il n’a pas dit son dernier mot et prépare sa revanche. Son arme: la P4, sans doute la plus belle «sport-prototype» de toute l’histoire.
À l’aube de la saison 1967, Ferrari semble capable de répliquer. Mauro Forghieri, le directeur technique, a bien préparé son affaire. Le nouveau prototype a été entièrement revu. Le châssis est toujours tubulaire et les panneaux d’aluminium sont toujours rivetés comme sur la P3 mais le moteur est désormais boulonné à la structure. Il s’agit d’un nouveau V12 4 litres à 3 soupapes par cylindre et quatre arbres à cames en tête. Il délivre 450 ch. Trois voitures neuves sont produites, des coupés à partir d’un prototype qui lui restera en version spider.
Pour soutenir l’effort de l’équipe officielle, Ferrari prépare des voitures pour ses principaux clients - le NART aux États-Unis, Maranello Concessionnaires en Angleterre, le Garage Francorchamps en Belgique et Filipinetti en Suisse - en préparant quatre voitures dénommées 412 P pour P3/P4. Il s’agit en fait de deux des P3 alignées l’année précédente et deux voitures jamais terminées en raison des grèves qui avaient paralysé l’usine au printemps 1966. Elles ont reçu les améliorations de la P4 tout en conservant le V12 24 soupapes de 420 ch.
Les P4 débutent la saison en fanfare, monopolisant le podium des 24 Heures de Daytona. Voyant ses MKIIB battues à plate couture sur la piste de Floride, Ford lance en toute hâte la Mk4. Elle remporte le trophée aux 12 Heures de Sebring mais Ferrari n’a pas fait le déplacement.
À Monza, presque dans son jardin, Ferrari, en l’absence de Ford, ne laisse à personne le soin de lui voler la vedette. Au Mans, lors des essais préliminaires d’avril, la balance penche en faveur des machines ornées du cheval cabré. Bandini bat de douze secondes le record du tour détenu depuis 1966 par Ford. Mais, lors des essais officiels, l’ordre est inversé. Les Ford occupent les 3e, 4e et 9e places sur la ligne de départ, la seconde revenant à l’une des deux Chaparral 2F. Les Ferrari se placent aux 7e, 10e, 11e et 13e rangs.
Au Mans en juin, le public s’est déplacé en masse assister à la «course du siècle» en raison de l’intensité du duel Ferrari-Ford. On assiste à un match équilibré: huit Ford contre sept Ferrari. La plus véloce des quatre P4 engagées (châssis 0856) est la numéro 21 que se partagent Ludovico Scarfiotti et Mike Parkes.
L’armada Ford perd trois voitures dans des collisions mais la plus rapide d’entre elles, celle de Gurney-Foyt, fait la course en tête. Elle ne la quittera jamais. Derrière, la Ferrari n°21 ne réussira jamais à refaire son retard, reflet d’un début de course trop timide. Franco Lini, le directeur sportif de l’écurie de Maranello, sera critiqué pour sa tactique trop timorée et il abandonnera peu après ses fonctions pour redevenir journaliste. La P4 0856 termine tout de même sur la deuxième marche du podium. De son côté, l’écurie Francorchamps, qui a hérité pour le Mans et son équipage vedette - Willy Mairesse et Jean Blaton «Beurlys» - d’une P4 usine (#0858), monte sur la 3e marche du podium.
La voiture que Bonhams propose aux enchères à Pebble Beach le vendredi 18 août (Quail Lodge), en marge du concours d’élégance, est la P3/P4 de l’écurie Maranello Concessionnaires du Colonel Ronnie Hoare.
Reconnaissable à sa livrée rouge à bande bleu ciel, elle a débuté sa carrière sportive à l’occasion des 1 000 km de Spa-Francorchamps où Richard Attwood et Lucien Bianchi terminèrent 3e. Au Mans, Attwood est associé à Piers Courage. La 412 P abandonne après avoir couvert 208 tours.
L’attribution du titre se joue finalement lors de la dernière manche de la saison à Brands Hatch. La 0858 a été transformée en spider pour gagner 40 kilos. Chris Amon est associé à Jackie Stewart. Leur seconde place assure le titre à Ferrari. À domicile, la 412 P de Ronnie Hoare confiée à Richard Attwood et David Piper termine au 7e rang. La fin de la saison approche. Les officiels qui se sont émus des vitesses atteintes durant la saison décident de limiter la course à la puissance en réduisant la cylindrée à 3 litres.
Maranello Concessionnaires vend sa 412 P à David Piper qui va l’engager dans une multitude d’épreuves en 1968. Au cours des années 1970-1990, le sport-prototype passe successivement entre les mains des collectionneurs Anthony Bamford, Paul Vestey, John et Bruce McCaw. En 2005, Jim Glickenhaus s’en porte acquéreur. Il entreprend une restauration complète qui va durer neuf ans. L’Américain est réputé pour avoir fait construire par Pininfarina une supercar dénommée P4/5 qui se veut une interprétation moderne de sa P3/P4.
La mise en vente de cette pièce majeure de l’histoire de Ferrari représente un événement sans précédent. Bonhams estime la 412 P autour de 40 millions de dollars.
Source : Sylvain Reisser-le figaro.fr - Merci DAVID SARDA pour le suivi de l'info...