Première sortie au bout du froid.. En décembre 1971, mon pote Jean Marie me propose de faire les Eléphants ( Elefantentreffen), ce rassemblement mythique qui a lieu début janvier de chaque année sur le circuit du Nürbürgring dans l'Eifel. Pour cela, il a acheté une 125 "Gentil – La Française" ( ça ne s’invente pas !!) . Comme il n’a pas encore le permis, c’est moi qui conduirai. Et nous voilà partis, avant l’aube, un samedi glacial et enneigé de janvier.
Nous traversons Sarrebruck déserte et pourtant, alors qu’il n’y a pas un chat dehors, une patrouille de Police trouvera le moyen de nous indiquer que nous nous sommes trompés de voie de présélection devant le « PK » , nous invite à refaire le tour du quartier pour se remettre dans la bonne file sans avoir oublié, bien sûr de contrôler nos papiers. Nous prenons la direction de Trèves. Sortie de la capitale du Land de Sarre, la campagne est recouverte d’une neige qui ne cesse de tomber. Le faible éclairage de la 125 et la neige rendent la vision délicate.
Le paysage est uniforme, du blanc partout. Aucune voiture n’est encore passée, pas de trace sur une route qu’il faut deviner. A un moment, il me semble que la route bifurque sur la gauche. Je m’engage et me rends compte très vite que ce chemin n’est guère carrossable …. Nous roulons depuis 300 mètres sur une voie ferrée !
Demi - tour rapide pour rejoindre la route normale.
Dans le jour qui se lève, vers Wittlich, nous voyons enfin les premières motos qui visiblement vont dans la même direction que nous ; c’est bon signe. Plus nous approchons du « Ring », plus il fait froid et plus le flot de motos devient compact.
Les derniers kilomètres sont pénibles pour la « Gentil » qui peine à gravir la longue montée qui mène au circuit, au graal !
Enfin, nous arrivons. Il y a là des milliers de motos et de motards. Une file d’attente longue comme un jour sans Whisky pour arriver devant le « Sport Hôtel ».
La forêt alentour a été transformée en camping sauvage. Partout des tentes, regroupées ou éparpillées selon les appartenances à un club, une marque ou que sais- je encore.
Nous choisissons un endroit en lisière de forêt pour planter notre « canadienne » sous la neige qui continue à virevolter. Nous avons les doigts gelés, ça fait belle lurette que nos gants ne sont plus étanches.
La Gentil est sagement garée . Il est environ 10 heures du matin. Après un café réconfortant et un casse -croûte « jambon-beurre » sortie du sac, nous nous dirigeons vers l’accueil de la concentre pour acheter la mythique médaille qui prouve à jamais que nous, on les a fait les « éléphants » et qui nous fait entrer dans la communauté virtuelle des purs, des vrais que la météo n’arrête pas.
Nous sommes baptisés.
Nous entreprenons alors de faire le tour de la concentre et nos yeux ne sont pas assez grands pour emmagasiner le gigantisme du rassemblement.
Environ dix milles motards venus en majorité d’Europe mais aussi du Japon, des USA ont rangé leurs montures le long de la ligne droite des stands Il y a de tout, surtout des sides dont des bitzas plus originaux les uns que les autres. Les Allemandes côtoient les Anglaises, les Italiennes, les dernières Françaises, les Américaines.
Un vrai salon de la moto en plein air, dans la neige : des BMW, des TRIUMPH, des BSA, des NORTON, des HOREX, des ZUNDAPP, des MZ, des NSU, des MONET GOYON, des RATIER, des GNOME-RHONE, des MOTOBECANE, des HARLEY, des CONDOR, des UNIVERSAL, des MOTO – GUZZI, des CZ, des JAWA, quelques MAMMUT et MV, un Kettenkrad OPEL bref tout ce qui a deux roues est là…… il manque tout de même quelques japonaises….( Et toc !!!)
Le soir tombe vite en hiver dans l’Eiffel, comme la température d’ailleurs !
Petit à petit, les feux de camp s’allument. Les plus malins, en side ont amené leur bois sec… Les autres doivent se dém..brouiller avec ce qu’ils trouvent sur place ; du bois mouillé ou encore vert qui met longtemps à s’allumer et finit par donner l’illusion d’un peu de chaleur. Le thermomètre frise avec les 20° en dessous de zéro, nous remontons les cols de veste, tapons du pied sur la terre gelée. Autour de chaque feu, s’improvise des rassemblements où toutes les nationalités se retrouvent, parlant la même langue de la moto. La bière et le schnapps coulent à flot ; on en oublie peu à peu le froid qui nous engourdit.
Vers 19 heures les plus courageux remettent les bécanes en route pour le traditionnel défilé aux flambeaux.
Après un vague discours et une énumération macabre de tous ceux qui nous ont quittés depuis les derniers « Eleph », un serpent lumineux entreprend de faire le tour du ring. Tous n’iront pas jusqu’au bout sur cette piste verglacée. Les accidents sont toutefois sans gravités, vu les vitesses atteintes. C’est une franche rigolade de glissages, écarts et freinages plus que limites. Ce défilé est le moment phare du rassemblement.
A l’issue, retour vers les feux de camp pour refaire le monde de la moto, chacun y va de son histoire jusqu’à épuisement physique et des munitions. Ensuite ; mission, retrouver la tente parmi ce patch de toiles. Après une nuit plus ou moins réparatrice, nous nous levons pour boire le reste de café froid d’hier. Pas envie de refaire du feu. Avant de retourner sur la piste, nous décidons de démonter la tente et de mettre nos affaires sur la moto.
Ce sera ça de moins à faire l’après- midi lors du départ.
Il y a beaucoup de monde, plus que la veille. Aux motards, se sont joints des centaines de badauds, venus en voiture avec femme et enfants pour voir ces drôles de personnages, bardés de cuir et de barbours qui ont fait tant de kilomètres pour se les geler dans l’Eifel.
La matinée passe ainsi à admirer ces motos qui nous font envie, à photographier telle ou telle idée pour vaincre le froid, ou tout simplement pour personnaliser sa monture.
Un casse -croûte mangé sur le pouce et nous poursuivons notre déambulation jusqu’aux alentours de quinze heures, heure à laquelle nous avons décidé de partir pour rejoindre notre base.
Nous nous équipons avec soin pour ne pas trop souffrir du froid.
Titillage, dégommage et coup de kick vigoureux…. La Gentil ne bronche pas. Malgré plusieurs tentatives, rien n’y fait, elle ne veut rien savoir.Pour quitter le Ring, il y a une longue descente.
Je propose à Jean- Marie d’essayer de faire démarrer la moto en seconde avec nous deux dessus.Rien n’y fait, nous arrivons en bas de la côte et pas le moindre son.
Je me résous alors à tout vérifier. L’essence arrive, il y a une belle étincelle bleue à la bougie mais, pas moyen de la mettre en route. Je démonte successivement le carburateur, le volant d’allumage mais rien n’y fait, elle a décidé de nous laisser en plan.
Il commence à faire nuit et c’est un défilé incessant de motos qui nous dépassent pour prendre la route nationale. Beaucoup nous proposent un coup de main.
Vers 16 heures je suggère à Jean Marie de laisser sa moto sur place et de rentrer en « stop » avant qu’il n’y ait plus un chat. Il accepte difficilement, ce que je comprends. Nous déposons la « Gentil » (mais pas con) chez un fermier du coin, lui promettant de venir la chercher dans une ou deux semaines avec une camionnette.
Nous nous mettons sur le bord de la route avec tout notre barda… bel équipage avec mon blouson vert de la Wehrmacht, mon pantalon en mouton retourné d’aviateur et mes rangers et, Jean Marie dans son bel imper blanc…. « The famous white raincoat » ( Pour les initiés)
Au bout d’une demie- heure, une Renault 4 bleue ciel s’arrête. Elle est immatriculée en 57.
C’est Philippe SCHUMMER et son épouse Jocelyne des motards de FORBACH qui nous ont reconnus. Quel bol !!!!
Nous regagnons le home familial au chaud pas mécontent de nous en être si bien tiré.
Avec du recul, ce rassemblement demeure le « must » pour un motard. Quand on y est on se demande ce qu’on fout là, dans le froid, l’humidité, la boue, avec ce putain de feu qui ne veut pas prendre, cette fumée qui nous pique les yeux… Quand on en revient, la tête pleine de souvenirs, de fumée de bois vert, d’amitié partagée on n’a qu’une envie : y retourner en emmenant ses bons potes pour leur faire partager un moment rare de bonheur motard…
D’ailleurs nous y retournerons 3 fois….
Quant à la « Gentil » on l’a laissée à l’ennemi. On n’est jamais allé la chercher, la pauvre. Peut -être a-t-elle fait le bonheur d’un motard de là- bas ? Avec l’expérience acquise depuis, je pense que la panne était due à l’eau qui s’est mélangée à l’essence quand l’épaisse couche de glace qui recouvrait le réservoir a fondu. La plus belle étincelle de bougie du monde n’a jamais mis le feu à une goutte d’eau……
Source : sriwils/Facebook