Le Mans 1972 : Matra sur la plus haute marche du podium ! « Tout vient à point à qui sait attendre ». Nul doute que Jean-Luc Lagardère a du ressasser cette citation de Clément Marot plus que de raison depuis la création de Matra Sport, puisqu’il du attendre 1972 pour voir une de ses voitures remporter, enfin, les 24 Heures du Mans. La route fut longue pour atteindre un de ses objectifs, mais que la victoire fut belle. Une montée en puissance. Quand il prend le contrôle des automobiles René Bonnet, le patron de Matra sait que rien ne sera facile.
Dès 1966, il se lance dans l’aventure des Sport Prototypes en présentant la 620 équipée du V8 BRM venant de la F1. La voiture s’avère fragile et sa première participation au Mans se solde par un échec. La 630 qui lui succède ne fait pas mieux et ses participations à l’épreuve mancelle se soldent elles aussi par des abandons en 1967 comme en 68. On n’épiloguera pas sur la 640 qui, lors d’un essai sur la ligne droite des Hunaudières causera à Pescarolo une des plus belles peurs de sa vie. C’est avec la 650 que Matra voit ses efforts récompensés par la belle 4e place de Beltoise/Courage, Guichet/Vaccarella sur une 630 terminant juste derrière. Même si le podium n’est pas là, il n’est pas loin.
Le moteur Matra MS9 12 cylindres, qui équipe les 2 voitures, est prometteur et personne n’a de doute sur un succès rapide au Mans. Malheureusement, l’édition 1970 est catastrophique. Suite à un défaut des segments de piston, toutes les voitures abandonnent rapidement. Il faut dire aussi qu’une réglementation très permissive a vu l’arrivée des « grosses » Porsche 917 et Ferrari 512 qui vont régner durant deux saisons sur le championnat et sur Le Mans.
Ce n’est pas mieux en 1971, où la 660 de Beltoise/Amon se retire le dimanche matin sur un problème d’alimentation.
1972 : quitte ou double.
Pour 1972, Matra Sport décide que la saison en Sport Prototypes, se jouera sur une seule course, les 24 Heures du Mans. La priorité est donnée à la F1 et afin de ne pas trop se disperser, la plus grosse partie des moyens disponibles est allouée aux monoplaces.
Mais pas question de faire l’impasse sur l’épreuve reine tant convoitée d’autant plus qu’une nouvelle réglementation est venue mettre hors service les 917 et 512.
Matra avec son V12 de 3 litres peut donc envisager de jouer les premiers rôles.
Dès le début de la saison, Ferrari, qui avait bien anticipé le changement en travaillant très tôt sur ses 312 PB, domine la concurrence, particulièrement les nouvelles Alfa Romeo 33 TT3 et Lola T280. Mais Matra a confiance dans ses nouvelles 670 dotées du moteur MS71 plus puissant que le précédent et aussi moins consommateur d’essence, point important au Mans.
L’objectif est d’ailleurs clairement affiché par Jean-Luc Lagardère : gagner.
Coup de tonnerre deux semaines avant le départ, Ferrari annonce qu’il ne participera pas à l’épreuve craignant de voir le moteur des 312PB trop fragile pour endurer une course de 24hrs.
C’est donc avec le statut de grand favori, mais un peu dans l’inconnu que Matra se présente dans la Sarthe.
Les essais confortent l’équipe française puisque les trois meilleurs temps sont réalisés par des 670, Cevert/Ganley devançant Hill/Pescarolo et Beltoise/Amon. La première Alfa 33 est 4ème à 5 secondes de la pôle. Jabouille/Hobbs sur une 660 signent le 8e temps à 10 secondes.
C’est à 16 heures que le président de la République, Georges Pompidou, abaisse le drapeau à damier et libère les 55 voitures présentes sur la grille.
Rapidement, on se dirige vers un duel entre Matra, la 14 de Cevert/Ganley luttant au coude-à-coude avec la 15 de Hill/Pescarolo et la 12 de Beltoise/Amon.
Mais l’euphorie du départ est de courte durée pour l’équipe française. Alors qu’il vient de passer en tête, Beltoise est obligé de s’arrêter au bord de la piste victime d’une rupture de canalisation d’huile provoquant un départ de feu. C’est l’abandon immédiat après seulement quelques kilomètres.
La surprise de ce début de course vient aussi de la Lola T280 de l’Écurie Bonnier Switzerland qui boucle la première heure en tête.
Mais ce n’est qu’un feu de paille et très vite les deux 670 restant reprennent le commandement échangeant régulièrement leurs places en tête.
Les Alfa Romeo tentent bien de résister, mais force est d’admettre qu’elles sont dans l’incapacité de suivre le train des Matra, la plus rapide d’entre elles, la 33 pilotée par Stommelen/Galli pointant au mieux à la 2e place en début de course avant de reculer au fil des tours.
Les heures passant, ce sont les aléas de la course qui modifient quelque peu les positions. Jabouille sur la 660 connaît des soucis d’essence et doit rentrer au stand au ralenti après avoir été immobilisé sur le circuit. Il perd de suite plusieurs tours alors qu’il était en 3e position. Les ennuis frappent également les autres écuries et les abandons surviennent au fil des heures. La JS 2 de Guy Ligier/JF Piot a abandonné après 19hrs tout comme, un peu plus tard, une des deux Lola T280 sur un problème d’embrayage.
Pendant la nuit, la situation météo se dégrade et les voitures doivent composer avec une piste humide et des nappes de brouillard. Cela ne trouble pas les deux Matra 670 qui continuent leur ronde en s’échangeant la première place en fonction des arrêts au stand.
C’est au petit matin que survient le drame de ces 24hrs.
Joachim Bonnier en pleine remontée sur les Alfa percute la Ferrari Daytona du Suisse Florian Vetsch. La Lola passe par-dessus le rail de sécurité est vient s’écraser dans les arbres. Le suédois décède sur le coup.
La pluie, de plus en plus forte, perturbe la course. Hill, qui est passé en pneus mixtes, repasse en tête alors que Ganley qui a gardé ses slicks s’accroche avec la voiture de MC Beaumont et perd ainsi de nombreuses minutes.
Les accidents mettent hors service quelques Porsche 908 tout comme la Chevrolet Corvette de Greder/MC Beaumont. Les Alfa Romeo 33 TT3 souffrent aussi et les voitures d’Elford/Marko et Stommelen/Galli doivent se retirer.
Le dernier coup de théâtre sera à mettre sur le compte de la Matra 660 de Jabouille/Hobbs qui doit renoncer à quelques minutes de la fin sur un souci de boite de vitesse.
Heureusement pour Jean-Luc Lagardère, les deux 670 encore en piste ne montrent aucun signe de fatigue et c’est tout naturellement qu’à 16hrs, la Matra n° 15 de Hill/Pescarolo franchit la ligne d’arrivée en devançant la n° 14 de Cevert/Ganley de 11 tours.
La troisième place est prise par une Porsche, la 908/01 LH ex Siffert du trio Joest/Weber/Casoni.
L’Alfa 33 de Vaccarella/De Adamich échoue au pied du podium.
Les 5 places suivantes sont occupées par des Ferrari 365 GTB/4 Daytona, la plus rapide d’entre elles pilotée par Andruet/Ballot-Lena.
C’est la Ford Capri 2600RS de Birrell/Bourgoignie qui complète le top 10.
Jean-Luc Lagardère a gagné son pari.
Il a tout misé sur cette seule course et la réussite est au rendez-vous. Sa promesse, faite au président de la République, au moment du départ, de remporter la course, est respectée. Mais surtout, le triomphe de Matra marque la fin d’une période de disette pour les voitures françaises dans la plus prestigieuse des courses d’endurance puisqu’il a fallu attendre 22 ans pour voir enfin les couleurs tricolores flotter au-dessus du podium. La Talbot Lago T26 GS des Rosier père et fils a enfin trouvé une successeure.
Surtout, cette victoire est le commencement, pour Matra, d’une nouvelle aventure. En 1973 et 1974, la firme de Velizy participe au Championnat du Monde en Sport Prototypes et remporte les deux années le titre de champion du monde avec en prime, deux nouvelles victoires aux 24 hrs du Mans.
Belle consécration pour la marque française et beau succès personnel pour son patron
Jean Luc Lagardère.
1972, 2022, c’est cette année que l’on fêtera les 50 ans de cette première victoire de Matra.
Source : photos : Pinterest, Matra Archives,Le Mans Slot racing, 24H Le Mans, Motorsport-mecanicus.com/
Nano Bastianelli