L’inventeur de la ligne esthétique de nombreux modèles de Citroën et de Renault est décédé à l’âge de 89 ans. Comme nombre de stylistes des « trente glorieuses », Robert Opron était moins connu que ses voitures. Ce personnage à l’humour incisif, a profondément influencé la production automobile française des années 1960 à 1980 en régnant – privilège rarissime – sur le design de deux grandes marques ô combien rivales : Citroën puis Renault.
Né le 22 février 1932 à Amiens, Robert Opron suit une formation de dessinateur industriel. Il fait ses premières armes dans l’aéronautique avant d’être embauché chez Simca, petit constructeur filiale de Fiat à l’esprit frondeur.
Il ne tarde pas à se faire remarquer en signant, dès 1959, la Fulgur, un véhicule de science-fiction imaginé à la demande du Journal de Tintin. Cette soucoupe roulante propulsée par une « pile atomique » et à conduite autonome est surmontée d’une demi-sphère vitrée. Une idée qu’il ne manquera pas de faire mûrir.
Le bureau de style Simca ayant été sabordé, Robert Opron passe quelques années chez Arthur Martin dans l’univers moins glamour de l’électroménager avant de répondre à une petite annonce qui lui permet d’être intronisé au sein de la marque française la plus audacieuse de l’époque : Citroën. Sous la tutelle sourcilleuse du fantasque designer-sculpteur italien Flaminio Bertoni, le créateur de la 2 CV et de la DS, Robert Opron arrondit habilement les angles des modèles du constructeur parisien sans les banaliser.
C’est lui qui est chargé de concevoir la version break de l’Ami 6. Il en fera une variante moins baroque que la berline mais qui sera un joli succès commercial.
Liberté de création
A la mort du maestro, en 1964, il prend les rênes du bureau de style de la firme au double chevron. Conscient qu’il dispose d’une liberté de création étendue – c’est alors la marque de fabrique de Citroën –, il insuffle une vision moderniste sans être échevelée. Cette approche équilibrée, que le constructeur ne parviendra pas toujours à maintenir au cours de son histoire, lui permet de mener à bien un exercice périlleux : le restylage de la DS, en 1967.
Une paire de doubles optiques carénées suffira à redonner une nouvelle jeunesse à la plus célèbre des Citroën, apparue douze ans plus tôt.
En 1970, ce petit homme à l’éternel nœud papillon supervise deux autres modèles marquants ; la GS, qui installe pour de bon la marque dans la catégorie des voitures moyennes, et surtout la SM. Le style de cette sportive à moteur Maserati est flamboyant, avec ses surfaces planes contrastant avec des lignes brisées ou ses phares logés derrière un bandeau transparent en guise de calandre. On compare la SM au Concorde avec son long nez effilé et l’on reste saisi par l’audace de sa poupe, surmontée d’une élégante calotte vitrée. La fameuse « bulle » Opron est née. On la retrouve en majesté à l’arrière d’un autre modèle à succès : la CX, qui succède – ce qui n’avait rien d’évident – à la DS en 1974.
Jaloux de son autonomie, le patron du design quitte, en 1975, le navire Citroën lorsque Peugeot prend le pouvoir quai de Javel. Fait alors rarissime, Robert Opron brise une règle non écrite en ralliant avec armes et bagages le grand rival. Il y installe un département design en bonne et due forme, mais perdra un peu de sa liberté de création. La sage R9 doit davantage à des choix de stratégie commerciale qu’à un coup de crayon audacieux, mais son penchant pour les hayons vitrés continue de l’inspirer.
Si la R11 et la Fuego (un coupé conçu sur la base de la lourde Renault 18) vieilliront un peu trop vite, la très élancée R25 affichera une élégance presque intemporelle.
Une autre révolution de palais – le remplacement de Bernard Hanon par Georges Besse, chargé de restructurer Renault alors en fâcheuse posture – le pousse à quitter Billancourt en 1985.
Il passera quatre ans chez Fiat à un poste qui ne lui permettra guère d’imprimer sa marque avant de se mettre à son compte. Il travaillera notamment pour les microvoitures Ligier et contribuera à ce que l’on dessine enfin des véhicules sans permis agréables à regarder.
Source : lemonde.fr/Car Design Archives





