1968 ne fut une année comme les autres : la jeunesse française s’embrase en mai, les chars russes écrasent le printemps de Prague et aux USA Martin Luther King et Bobby Kennedy sont assassinés. La guerre du Vietnam atteint son paroxysme avec 550 000 G.I. engagés dans ce bourbier. La moto ne sera pas en reste puisqu’en novembre 1968 est présentée lors du salon de Tokyo une moto qui va révolutionner la pratique et la conception d’une moto. Son nom : Honda CB750. La CB 750 appartient à une époque où les choses étaient faites pour durer. La peinture est recouverte d’une épaisse couche de vernis pailleté accompagnée de chromes à foison !
C’est autre chose que nos modernes roadsters créés par injection plastique !
Ce programme baptisé « Project 300 » est dirigé par l’ingénieur en chef du bureau de recherche et développement du constructeur Yoshiro Harada.
LA HONDA CB 450 OU APPRENDRE DE SES ERREURS
Harada avait déjà réalisé la Honda CB450 surnommée « black bomber » produite en 1965. Cette moto était extrêmement ambitieuse grâce à des solutions techniques directement héritées des Honda de Grand Prix comme une distribution à double arbres à cames.
Malgré un moteur très performant (45 chevaux à 9 000 tr/mn) et un prix contenu, la CB 450 sera un semi-échec car son bicylindres est bien trop pointu pour des motards « biberonnés » aux gros couples des bicylindres verticaux britanniques.
LA HONDA CB750
Le programme d’une Honda de forte cylindrée à quatre cylindres est acté en février 1968 et la moto définitive devra être présentée à la presse sur les terres de Honda, au salon de Tokyo, qui se déroule en novembre de la même année.
La CB750 sera commercialisée en 1969 en 3 coloris pailletés : « Candy Gold », « Candy Red Ruby » (modèle présenté) et le rarissime « »Candy Blue Green ».
Le travail de conception du quatre pattes va être grandement aidé par un nouvel outil fort onéreux dont Honda vient de se porter acquéreur : La conception assistée par ordinateur (CAO).
LE CAHIER DES CHARGES DE LA FUTURE HONDA CB750 EST AMBITIEUX
Il est supervisé par l’ingénieur en chef du service de R&D Yoshiro Harada et il est le suivant :
Un 4 cylindres de grosse cylindrée évoquant les motos de Grand Prix mais au caractère coupleux afin de répondre aux attentes de l’énorme marché américain.
Une boîte à 5 rapports.
Un équipement et une qualité de fabrication jamais vue dans l’univers de la moto de l’époque.
Une fiabilité digne d’une automobile.
Une ergonomie qui pose les codes du roadster japonais comme la Suzuki 1200 Bandit (1995-2007).
Un démarreur électrique. (La concurrence britannique nécessite tout un cérémonial au kick pour mettre en marche le tricylindres.)
Un frein avant à disque de série afin de stopper une moto qui tutoie les 200 km/h en pointe.
Les vibrations et les bruits parasites devront donc être minimes afin que le pilote puisse parcourir plusieurs centaines de kilomètres à très vives allures avec le maximum de confort possible.
Elle devra être également plus abordable que la concurrence directe constituée par les BSA 3 et Triumph T-150 qui se partagent un même tricylindres et qui sont commercialisées depuis 1968.
DOMESTIQUER LE FREINAGE À DISQUE
Le principal écueil que rencontre l’équipe menée par Yoshiro Harada sera la greffe d’un frein avant à disque et à commande hydraulique. Les BSA et Triumph conservent un classique frein à tambour.
Le freinage avant des automobiles est à cette époque déjà largement acquis à cette nouvelle technologie. En moto, la MV Agusta 600 GT est équipée dés 1966 d’un double disques de 203 mm mais il est activé par câble.
Le frein à disque est une vraie avancée d’autant plus que la puissance des motos commence à s’envoler avec la multiplication des cylindres et la maitrise par les japonais de la technologie du deux temps. Il est plus performant et moins sujet à la surchauffe lorsqu’il est fortement sollicité.
Honda aura énormément de mal à trouver le bon compromis au niveau de la composition des plaquettes entre efficacité et usure car dans le cahier des charges, leur durée de vie doit correspondre à la périodicité d’entretien de 5 000 km.
Présentée lors du salon de Tokyo, le frein à disque éclipse quasiment le quatre cylindres (une architecture vue dès 1903 sur une FN).
D’un point de vue anecdotique mais qui prouve l’excellent travail accompli par le bureau R&D de Honda, de nombreux pilotes des années 70 monteront le freinage de la CB 750 sur des montures de compétitions aux origines très variées.
UN QUATRE PATTES SIMPLE ET BIEN NÉ
Le génie de Yoshiro Harada est d’avoir appris des erreurs qu’il avait commis sur la CB450.
Le quatre cylindre de la CB 750 a certes un look qui évoque la Honda-6 qui remporta le titre mondial 1966 mais là s’arrête l’esprit racing.
Ses caractéristiques techniques (poids, puissance, couple, vitesse max., etc.) sont d’ailleurs très proches du tricylindres qui équipe la BSA Rocket 3 et la Triumph Trident.
Derrière ses quatre échappements dignes de la moto de Grand Prix piloté par Mike Hailwood se cache une mécanique simple et robuste.
La Honda CB750 n’a que deux soupapes en tête par cylindre et l’unique arbre à cames en tête est entrainé par une chaine.
Grace à cela, Honda peut proposer sa moto moins chère que la concurrence britannique. Cette simplicité mécanique qui va généralement avec robustesse sera la clef du succès de la japonaise !
Au contraire, le tricylindres britannique nécessite pas moins de sept plans de joints verticaux (sic) car il n’est qu’un « bricolage » né de l’ajout d’un troisième cylindre à la 500 Speed Twin de 1937 !
LA CB 750 OU UNE MOTO BIEN PENSÉE
Paradoxalement, la Honda CB750 n’apporte aucune solution réellement inédite hormis bien sur son frein à disque.
Par contre, cette moto est extrêmement bien conçue dans le but de faciliter la vie du motard comme en témoigne la présence d’un démarreur électrique.
Mais surtout, sa fiabilité est digne d’une automobile alors qu’une moto britannique nécessite un démontage complet du moteur tous les 50 000 km…
Preuve que cette moto est bien née, elle gagne, dès sa première participation, le Bol d’Or 1969 avec l’équipage Rougerie-Urdich.
Une version usine de la CB 750 (CR750) préparée par Harada et pilotée par Dick Mann remporte l’édition 1970 de la grande classique américaine, la Daytona 200. Cette victoire met encore plus en avant la commercialisation de cette moto sur l’énorme marché états-unien.
DES CHIFFRES DE VENTE INOUÏS
La première Honda CB750 K0 sort des usines Honda le 15 mars 1969. L’estimation des ventes pour 1969 était de 1500 exemplaires. Fin 1969, 1500 Honda 750 quitte le japon chaque jour ! Elle sera produite entre 1969 et 1978 à 553 000 unités dont 22 000 pour la France. Un record !
De 1969 à 1978, elle sera déclinée en neuf évolutions allant de la 750K0 à la 750K8 et quatre versions « F » à partir de 1975.
Il y aura donc un avant et un après la Honda CB750 et tous les constructeurs devront se réinventer car le motard est devenu un « consommateur-motard » qui a désormais de nouvelles attentes.
SUR LES TRACES DE LA HONDA CB750
Suite à la sortie de la Honda CB750, BMW proposera une alternative très réussie avec la R90S (1973) et Ducati lancera en 1971 son premier gros bicylindres avec la 750 GT.
En 1972, Kawasaki « fait l’intérieur » à Honda en commercialisant la toute première superbike grand public de l’histoire et par là même le début de la course à la puissance dans laquelle vont se jeter les quatre constructeurs japonais.
La Kawasaki Z1, grâce à une distribution à double arbres à cames en tête ou DOHC (4 soupapes par cylindre), permet au quatre cylindres de 903 cm3 de produire 82 chevaux soit 15 de plus que la Honda !
En 1976, Suzuki dévoile la 750 GS premier quatre cylindres du constructeur.
Entre 1969 et 1977, Honda fera peu évoluer la CB750 car le géant japonais est absorbé par le lancement de sa première automobile : La Honda Civic.
En 1979, le CB 750 version « K » (K1 et K2) reçoit une distribution à double arbres à cames en tête (DOHC). Cette motorisation restera au catalogue Honda jusqu’en 2003.
La CB 750 est donc le tout premier « quatre pattes » ; une motorisation qui fera florès et qui reste un demi-siècle plus tard toujours synonyme de gros cubes à la japonaises.
Contrairement à une idée répandue, Honda n’a copié personne pour concevoir « La Moto du Siècle ». Les Japonnais ont étudié attentivement un marché quasi-artisanal de la moto des sixties pour en faire une industrie prospère.
Triumph et Norton étaient équipés de machines-outils désuètes. Ajoutez à cela une recherche et développement (R&D) au point mort et une volonté politique absentes. Vous comprendrez pourquoi la Honda CB750 a fait main basse sur le marché de la moto.
Honda a proposé « un produit » qui allait démocratiser la pratique de la moto en la rendant facile d’accès à tout un chacun. La Honda CB750 était au rendez-vous pour la société des loisirs naissante !
SOURCE / LAURENT BLASCO-CALMELS--Club14moto-JF Motorcycles
Club14motobellesmachines.com/