Cette crise, qui met un terme à trois décennies d’énergie bon marché et de croissance ininterrompue, sonne le glas du « toujours plus » automobile. Contrairement à l’épisode Suez, dix-sept ans plus tôt, il ne s’agit pas d’un coup de tonnerre isolé. Le prix du baril passe en quelques semaines de 4 à 13 dollars et se stabilise à un niveau historiquement élevé, mettant à rude épreuve l’industrie automobile. Aux Etats-Unis, où les firmes japonaises sont à l’offensive, apparaissent les premières réglementations CAFE (Corporate Average Fuel Efficiency), qui attribuent des objectifs de consommation à chaque marque.
En Europe, l’inflation du prix à la pompe déstabilise moins les constructeurs, traditionnellement versés dans la mise au point de voitures compactes et « efficientes », comme la Renault 5, la Fiat 127, la Peugeot 104 ou encore la nouvelle Volkswagen Golf. Cette dernière répond au cahier des charges de ces temps nouveaux, mais elle a quelque chose que les autres n’ont pas. Apparue en 1974, la Golf doit relever un lourd défi : succéder à la Coccinelle. Elle s’en éloigne résolument, adoptant un quatre-cylindres classique placé à l’avant plutôt qu’un boxer et ses cylindres à plat installé à l’arrière.
Le style extérieur a été confié au designer turinois Giorgetto Giugiaro. Ses lignes sont nettes et équilibrées, avec des éléments de carrosserie impeccablement assemblés. L’intérieur n’est pas un modèle de fantaisie, mais il a été conçu avec la même rigueur. La nouvelle Volkswagen sait se démultiplier. En 1976, elle lance un ballon d’essai qui va rencontrer un énorme succès. La version GTI développe 115 ch, mais son poids plume en fait une bombinette comme on les adore dans les années 1980. La Golf, qui propose un éventail de moteurs peu commun, est aussi disponible en diesel.
Dans ce contexte, la nouvelle « voiture du peuple » veut refléter l’expression d’un certain bon goût, accompagnant subtilement l’ascension sociale – le jeune cadre dynamique rêve d’une Golf noire – d’une clientèle qui, depuis quarante-six ans, présente un profil plus aisé, plus jeune, plus diplômé et plus féminin que la moyenne. Plus chère que ses concurrentes, elle affiche aussi un taux de fidélité à les faire pâlir d’envie. A une époque où la voiture est largement désacralisée, rouler en Golf traduit une sorte de snobisme à rebours.
Etre moderne, c’est aimer l’automobile sans trop le montrer, sacrifier au chic en restant discret, afficher sa réussite sans frimer. Cette subtile équation a permis à la maison de Wolfsburg de produire 35 millions d’unités depuis 1974. Tout en développant une politique de plate-forme consistant à mettre à disposition la base technique de ce best-seller pour concevoir des Seat ou des Skoda sans trop redouter la concurrence ainsi créée.
Dans une civilisation où l’automobile n’est plus triomphante et où les ménages entendent lui consacrer une moindre part de leurs revenus, la Golf a su trouver les arguments pour épouser le rapport à l’automobile qui se dessine à partir du milieu des années 1970.