Conçue clandestinement sous l’Occupation, pierre angulaire de la reconstruction du pays et mascotte des « trente glorieuses », la 4 CV dévoilée en 1946 n’était pas seulement une petite voiture novatrice et attendrissante. C’était un projet politique sur roues. Louis Renault ne veut pas d’une automobile populaire, pas assez valorisante pour une marque qu’il conçoit comme élitiste. Pour l’après-guerre, encore bien lointain, il préfère une grosse 11 CV mais deux ingénieurs et futurs résistants, Fernand Picard et Charles-Edmond Serre, passent outre et développent discrètement un prototype dès 1940.
Cette petite bagnole ronde, arborant des moustaches chromées qui lui donnent un air de souricette, concentre des désirs d’émancipation et de mobilité individuelle longtemps contenus. A condition d’être patient car le délai de livraison peut dépasser un an. Elle donne de la consistance aux congés payés et se met en quatre pour embarquer tous ces couffins qu’entraîne dans son sillage la vigoureuse natalité des années 1950. La peinture jaune de l’Afrika Korps La 4 CV est vite surnommée « la motte de beurre ».
La première série, en effet, met à profit un stock de peinture jaune provenant de l’Afrika Korps pour le camouflage de ses chars. Sa dénomination empreinte d’une poésie toute fiscale la situe à l’étage inférieur de la hiérarchie automobile. C’est sa fierté. « La 4 CV remet la France sur quatre roues » proclame la publicité. Pour marquer ses origines faubouriennes, on lui invente un autre sobriquet : « la chérie du populo ».
Une vocation à contre-courant de la culture automobile française de l’entre-deux-guerres, davantage portée sur les modèles huppés. Alors que la Citroën 2 CV, plus rustique, n’apparaîtra qu’en 1948 et que les autres marques françaises s’adressent surtout à la petite bourgeoisie, comme la 203 Peugeot ou la Traction, la 4 CV campe pour la première fois sur le terrain de la production de masse.
Vaste projet : en 1947, lorsque la fabrication est lancée à Billancourt, la France ne compte qu’un véhicule pour quatre-vingts habitants. Son architecture qui place le moteur à l’arrière permet à la petite Renault d’accueillir quatre personnes dans des conditions de confort assez appréciables pour l’époque.
Elle coûte, à ses débuts, l’équivalent de presque deux années d’un salaire moyen, ne dépasse pas les 20 ch et sa tenue de route impose de la mener avec tact. Certes, mais elle frise les 90 km/h, consomme peu, fait étalage d’une réelle fiabilité et se conduit facilement. « A chaque coin de rue, à chaque détour de chemin, sa silhouette typique surgit, accompagnée d’un vrombissement rageur » écrit L’Auto-Journalen 1954. Cette année-là, elle passe le cap des 500 000 exemplaires.
Exportée jusqu’aux Etats-Unis et au Japon, la 4CV découvre la coquetterie. Un toit ouvrant, des sabots d’aile chromés, un unique antibrouillard ou encore la table de camping Kisspli capable, une fois remisée, de tenir dans le riquiqui coffre avant, viennent garnir la liste des accessoires d’une voiture qui grappille quelques lauriers sur les circuits. C’est avec une 4 CV survitaminée que Jean Rédélé porte la marque Alpine sur les fonts baptismaux. Au terme d’une carrière de quatorze années, la Renault du populo quitte Billancourt après 1,1 million d’unités produites. Aucune autre voiture française n’avait été aussi prolifique.
Source : Les crises dans le rétro- Jean-Michel Normand-L'argus