Elle ne procède pas de la nécessité de se relever de l’effondrement durable d’un modèle économique comme en 1929 ou de reconstruire le pays au lendemain d’une guerre mondiale. Elle n’est pas non plus dictée par un choc provoqué par le brusque renchérissement du coût de l’énergie comme en 1956 ou 1973, ni par la nécessité de choisir entre plusieurs orientations technologiques susceptibles de réduire l’impact sur l’environnement à l’image des années 2000.
La cause est entendue, la voiture post-crise de 2020 sera électrifiée mais pour sauver l’industrie automobile et continuer de faire vivre la mobilité individuelle, il faudra relever quatre défis complexes. Réussir l’électrification
– Le mouvement de transition vers des véhicules hybrides, hybrides rechargeables ou tout-électriques n’a pas attendu la crise du Covid-19. Celle-ci devrait le renforcer, même si cette mutation risque de s’engager dans un marché revu à la baisse, au moins dans un premier temps.
Les politiques publiques de relance de la demande vont chercher à stimuler l’achat de modèles électriques et hybrides par les particuliers mais aussi, et peut-être surtout, par les entreprises qui représentent désormais un peu plus de la moitié des immatriculations. L’élargissement du catalogue de modèles à « énergie alternative » engagé chez tous les constructeurs devrait favoriser cette évolution alors que la contraction de l’offre de modèles thermiques va dans le même sens. Chez Renault, par exemple, la Twingo sera bientôt disponible en version électrique alors que l’Espace, le Scénic et la berline Talisman ne seront pas renouvelés.
Tout dépendra du maintien ou non des actuelles normes européennes qui imposent un seuil de CO2 à chaque constructeur, incité à ne pas vendre trop de véhicules à moteur thermique. Démocratiser la voiture propre – Même avec une prime de 6 000 euros, montant maximum attribué à un particulier pour l’achat d’un véhicule 100 % électrique ou de 2 000 euros, bonus réclamé par les constructeurs pour l’acquisition d’un hybride rechargeable, une voiture électrifiée restera plus chère que la concurrence.
Ce constat doit cependant être nuancé. D’abord concentrée sur le haut de gamme, l’électrification s’est engagée dans un mouvement d’élargissement qui a fait apparaître de petites voitures électriques (Renault Twingo, Peugeot 208, Fiat 500, Volkswagen Up) et des hybrides simples ou rechargeables (Toyota Yaris, Ford Puma, Renault Clio et Captur E-Tech….) relativement accessibles.
Ce glissement vers l’électrification pourrait prendre de l’ampleur avec l’arrivée de modèles low cost comme la petite Dacia Spring facturée, bonus déduit, autour de 15 000 euros. Compte tenu du prix des batteries (plus du tiers du coût total), cette indispensable démocratisation ne pourra se faire qu’au détriment de l’autonomie. La Spring se contentera ainsi d’un rayon d’action de quelque 200 kilomètres, ce qui est loin d’être négligeable au regard du kilométrage moyen parcouru par les automobilistes français. Enfin, la création d’un large marché de l’occasion de la voiture électrifiée apparaît comme un autre enjeu important. Se concentrer sur les technologies éprouvées
– La longue et difficile relance du secteur automobile impose d’accélérer plus encore la baisse du prix des batteries lithium-ion et, sans doute aussi, de concentrer les investissements sur ce secteur. Dans un tel contexte, on peut s’attendre à voir l’essor de la pile à combustible alimentée à l’hydrogène prendre du retard. Mercedes vient d’annoncer qu’il renonçait à développer ce genre de modèles destinés au grand public. De la même manière, la conception de véhicules autonomes, déjà pénalisée par la mobilisation de moyens supplémentaires au profit de la transition énergétique, apparaît de moins en moins prioritaire pour les constructeurs.
Donner envie – L’automobile est un objet technologique ultra-rationnel mais à fort contenu émotionnel. Pour s’imposer, la voiture post-crise du Covid-19 aura tout intérêt à soigner son attractivité subjective. Bref, elle devra donner envie, c’est-à-dire être capable de tisser un lien quasi affectif avec tous ses occupants. Une ambition qui passe par un renouvellement du style extérieur, avec des voitures électriques au design réellement innovant. Mais aussi par des habitacles sachant mettre à profit les atouts (rapport encombrement-habitabilité très avantageux, possibilité d’un agencement intérieur inédit) inhérents à un véhicule dépourvu de moteur thermique.
Cet objectif pourrait imposer quelques révisions douloureuses. Ainsi, les marques vont devoir s’interroger – même si cela n’en prend pas le chemin à court terme – sur l’emprise croissante qu’exerce le SUV sur le marché automobile. Cette architecture, plébiscitée par nombre de consommateurs, va à l’encontre des contraintes de baisse de la consommation, y compris pour les versions hybrides et électriques. D’ailleurs, si l’on en croit la plupart des constructeurs, la protection de l’environnement promet d’occuper une part toujours plus importante parmi les motivations d’achat. La 4 CV de l’après-guerre était « la chérie du populo » ; la voiture de l’après-Covid-19 devra tenter de devenir « la chérie des écolos ».
Source : Jean-Michel Normand - Les crises dans le rétro-.Y'a du Potentiel !