Les explications de cet engouement. Le petit monde de la voiture en frissonne de plaisir : les Français redécouvrent leur patrimoine automobile. Lors de sa première édition, en 1976, le salon Rétromobile avait reçu 3 000 passionnés de voitures anciennes. Aujourd’hui, on se bouscule porte de Versailles, à Paris, où le record de 132 000 visiteurs. Alors que plus d’un constructeur fera une croix sur le Mondial de l’automobile, en octobre, ils sont toujours plus nombreux à exposer leurs anciennes gloires à Rétromobile.
Posséder une ancienne c’est renouer avec un rapport plus intense à la machine, redécouvrir des bruits et des odeurs. Accessoirement, aussi, connaître le frisson de la vitesse dès 50 km/h. Automédon, au Bourget en octobre, Epoqu’auto, le mois suivant à Lyon ou Le Mans Classic qui draine les foules tous les deux ans ; les occasions de s’émouvoir devant les voitures
– un mordu d’anciennes dira « les autos »
– de son enfance font recette. Au total, on recense chaque année en France quelque 7 000 rassemblements divers et variés. Une nouvelle forme d’hommage est même apparue ; l’embouteillage rétro qui consiste à simuler un bouchon de voitures anciennes avec occupants en tenue d’époque sortant saucisson et transistors pour pique-niquer.
En urgence, les professions de l’automobile ont mis en place des programmes afin de former mécaniciens, carrossiers ou selliers capables d’assurer la restauration de modèles des années 1950-1980. Avec un emploi garanti à la clé. En France, contrairement au Royaume-Uni ou à l’Allemagne, l’attachement au passé automobile a longtemps été le fait d’une petite minorité d’amateurs éclairés. La voiture ancienne a passé la vitesse supérieure. Elle a élargi son spectre et conquis ses lettres de noblesse. Pour recréer l’ambiance des « trente glorieuses », les producteurs de séries ou de films organisent des castings automobiles très serrés et les émissions de télé-réalité autour des collectionneurs se multiplient.
Aujourd’hui, on peut regarder de travers un gros SUV hybride aux émissions réduites à une poignée de grammes de CO2 et s’attendrir au passage d’une Ford Vedette dont le pot d’échappement crache une fumée bleutée. « La bagnole ancienne est un objet politiquement correct », s’amuse le représentant d’une marque française. Le débat du « rétrofit » Prompts à faire la chasse aux vieilles mécaniques des années 1990, les pouvoirs publics deviennent très compréhensifs dès lors que l’on invoque le patrimoine automobile. La maire de Paris, Anne Hidalgo, après avoir banni les modèles de plus de 20 ans, a rapidement consenti une exception pour les voitures de collection – de plus de dix ans leurs aînées – qui n’auront donc pas à se soucier de la vignette Crit’Air.
Les dix-sept agglomérations ayant décidé de mettre en place une zone à faibles émissions ont fait preuve de la même mansuétude pour ces gros pollueurs, il est vrai très peu présents sur les routes. Ce regard ému dans le rétroviseur s’intègre dans un contexte d’attendrissement nostalgique plus vaste. S’agissant de l’automobile, pourtant, l’explication semble un peu courte. Rayonner de bonheur au volant d’une Amilcar, d’une Simca Chambord ou d’une 205 GTI traduit aussi un phénomène de compensation. Outre qu’elles ont souvent mauvaise presse dans les grandes villes, les voitures modernes sont tellement interchangeables, sophistiquées et confortables qu’elles ont perdu en sensations.
Posséder une ancienne, en revanche, c’est s’offrir un voyage dans le temps, renouer avec un rapport plus intense à la machine, redécouvrir des bruits et des odeurs. Accessoirement, aussi, connaître le frisson de la vitesse dès 50 km/h. « Les constructeurs ont conscience qu’avec la généralisation de la voiture électrique il va devenir plus difficile de faire valoir une différenciation technique. Pour valoriser l’identité d’une marque, il est devenu indispensable d’entretenir l’imaginaire qui l’entoure », souligne François Roudier, porte-parole du Comité français des constructeurs d’automobiles qui a organisé à Paris un atelier de réflexion sur le thème du patrimoine.
Célébrer la voiture ancienne serait aussi un moyen de réhabiliter l’automobile tout court. Peugeot a fait savoir que son concept car e-Legend, réinterprétation du coupé 504 de 1969, inspirera en partie le design de ses futurs modèles et vient de redessiner son logo en mode vintage. Renault, qui encourage enfin les manifestations de collectionneurs, bichonne huit cents modèles historiques dans son usine de Flins, dans les Yvelines.
Ce retour de flamme soulève quelques débats, comme c’est le cas autour du « rétrofit », terme qui désigne les voitures anciennes sur lesquelles on greffe des batteries et un moteur électrique. Pas question, assure la FFVE, de les considérer comme des véhicules d’époque. L’arrivée dans le périmètre du véhicule de collection (statut qui permet, notamment, d’alléger les contraintes du contrôle technique mais exclut un usage quotidien) de modèles tout juste trentenaires largement dieselisés fait émerger un autre dilemme.
La FFVE et les collectivités locales pourraient s’entendre sur un compromis : seules les versions à moteur essence bénéficieraient de la dérogation permettant de circuler dans les zones à faibles émissions. Plus largement, se dessine une réflexion sur l’opportunité d’allonger le délai de trente ans au-delà duquel une voiture peut entrer dans le grand registre de la collection. L’âge pivot est aussi une problématique automobile.
Source : lemonde.fr - Jean-Michel Normand-BFMTV