Sa carrosserie est l’œuvre d’un enfant du pays, Paul Bracq. Peintre prolifique à ses heures, ce designer n’est pas n’importe qui. Il a marqué l’automobile de son empreinte. Après avoir orienté le style Mercedes des années 1960, il crée le langage formel des BMW des seventies. Il est le père de la Turbo, le premier concept de la marque bavaroise. Chez Peugeot, à partir de 1974, il redéfinit le style intérieur des modèles de Sochaux et participe aux principaux programmes.
Mercedes s’est même offert le luxe de proposer trois variantes de carrosserie: un coupé à toit fixe et rigide dont la forme concave, particulièrement originale, lui vaudra le surnom de Pagode ; un cabriolet (sans capote) avec hard-top ; un cabriolet avec une capote amovible. C’est au volant de cette dernière version que notre chauffeur du jour, un certain Boris Bracq, le fils de Paul, nous a entraînés sur les routes du Médoc. L’été jouant ici les prolongations, c’est le nez à l’air pour humer les senteurs matinales et les cheveux tourbillonnant dans le vent que nous battons la campagne.
A peine sortis de Bordeaux, nous avons déjà l’impression d’être dans un ailleurs. L’horizon est dégagé. Débarrassé des barres d’immeubles et des zones d’activité qui défigurent le paysage. Sur la départementale 2, à moins d’emprunter la parallèle (D210) qui serpente gentiment sur la droite et vous fait traverser Parempuyre, le temps semble suspendu. Rien ne laisse soupçonner encore que nous sommes dans une région viticole. Ni que les eaux de la Gironde nous tendent presque les bras. Les champs de vigne se font encore désirer et le spectacle est celui d’une forêt à la végétation abondante. A 80 km/h, le 6 cylindres ronronne tranquillement. Une légère pression sur la pédale d’accélérateur le réveille.
Stimulé par la sonorité enivrante, on accélère le rythme. Notre 280 SL est la dernière évolution de la série des Pagode. La plus performante des trois versions du modèle. Elle est animée par le 6 cylindres 2,8 litres de 170 chevaux, à injection indirecte et simple arbre à cames. Ce moteur maudit les embouteillages. Il a besoin de s’exprimer, sous peine de s’encrasser et de ne plus tourner sur tous ses cylindres. Tout rentre dans l’ordre lorsque l’on libère la cavalerie.
Attention toutefois: cette mécanique ne goûte guère les hauts régimes. Ce défaut n’a pas empêché la Pagode de remporter en 1963 la course Liège-Sofia-Liège, un véritable marathon de la route. Boris Bracq nous éclaire: «La boîte tire trop court.» Mais, pour traverser la rive gauche de la Gironde, cela n’a aucune incidence. Dans la circulation actuelle, la Pagode n’est jamais dépassée par les événements. Il n’y a que la boîte 4 qui rappelle l’âge de l’auto. A la minceur déroutante du levier, il convient d’ajouter la nécessité de décomposer les opérations à chaque changement de vitesse.
La Pagode bluffe surtout par le confort de ses sièges et la souplesse de ses suspensions qui la rapprochent davantage d’une limousine que d’une sportive. Le volant, avec son imposante mousse de sécurité en son centre, renvoie aussi à l’univers de la berline. La mutualisation des composants ne date pas d’aujourd’hui. L’instrumentation profite également à d’autres modèles de la gamme Mercedes. Son originalité réside dans le cadre rectangulaire implanté entre deux compteurs ronds. Il réunit les différents manos de contrôle. Autre singularité: la banquette arrière de la Pagode de Boris peut accueillir une troisième personne transversalement. Des hectares de vigne à perte de vue A la sortie de Macau, nous entrons dans le vif du sujet.
Un portail planté au milieu d’un rond-point (encore un) et matérialisant «les portes du Médoc» annonce la couleur. La Pagode poursuit son chemin sur la D2. Des pieds de vigne se dessinent sur notre gauche. Deux kilomètres plus loin, notre regard se porte à nouveau vers la gauche. Un parterre en pavé et une grille en fer forgé signent l’entrée dans le domaine du Château Giscours, troisième grand cru classé. Une classification qui avait été établie à la demande de Napoléon III, à l’occasion de l’exposition universelle de 1855. La Pagode s’engage dans l’allée sableuse et cernée de vignes. Ce vignoble s’étale sur 160 hectares.
On pourrait s’y perdre. Ou jouer à cache-cache. Y a-t-il des bâtiments? Une maison? Au loin, un donjon émerge d’une forêt de pieds de graves alignés comme un régiment à la parade. Un portail et un mur d’enceinte se dessinent au loin. Au bout de l’allée en graviers apparaît un château de style néoclassique. Sa beauté et sa simplicité sont saisissantes. C’est au cours du XIXe siècle que ce palais a été édifié. Le soleil qui transperce le bâtiment de part en part ajoute à la majesté des lieux. Côté jardin, un autre décor s’offre aux visiteurs. Plus romantique. Un chemin court le long d’un cours d’eau. Ici, à l’abri des arbres centenaires, Château Giscours organise des garden-parties ou d’élégants pique-niques.
En ressortant du domaine, on tourne à gauche en direction de Labarde. A l’entrée du village, un panneau jaune indique «Château Dauzac». On ne voit que ça. On tourne à droite, dans la rue du Port-de-la-Bastide. Ce chemin vicinal nous conduit à la D209. Le domaine appartenant à la Maif et dirigé par Laurent Fortin longe la départementale. Cinquième grand cru classé de Margaux en 1855, Dauzac dispose de 49 hectares de vignes d’un seul tenant, 45 hectares en appellation margaux et 4 en haut-médoc. La maison de maître est visible depuis la route. La Pagode ne dépare pas dans l’allée qui y conduit. Sous les platanes centenaires, notre SL prend toute sa dimension. Les automobilistes ne s’y sont pas trompés. En l’espace de huit ans, de 1963 à 1971, la SL code W113 a été produite à près de 49 000 unités. Un grand merci à Boris Bracq et aux Ateliers Paul Bracq spécialisés dans l’entretien et la restauration de la Mercedes Pagode, pour le prêt du véhicule.
Source : Sylvain Reisser - lefigaro.fr - Automobile Classics-