ACTUALITÉ - Avec le Best of Show attribué au Type 59 Sport, Bugatti égale Mercedes au palmarès du concours d’élégance californien. L’édition 2024 fera date dans l’histoire du concours d’élégance de Pebble Beach. Elle marque un changement de paradigme. Depuis toujours, le plus prisé des concours récompense le brillant et le clinquant, des voitures que l’on a pris l’habitude de ranger dans la catégorie «restauration à l’américaine», c’est-à-dire des véhicules surestaurés et aussi neufs qu’au premier jour de leur sortie de l’usine ou de l’atelier du carrossier. La 73e édition marque un virage puisque, pour la première fois, le jury a porté ses voix sur une voiture affichant la patine du temps. Entre la Talbot-Lago T26 Grand Sport Saoutchik fastback Coupé de 1948 présentée par Robert Kudela, la Packard 1108 Twelve LeBaron Sport Phaeton de 1934 de Harry Yeaggy de Cincinnati, le concept car Lancia Stratos HF Zero réalisé par Bertone en 1970 et appartenant à Phillip Sarofim de Beverly Hills, et la Bugatti Type 59 Sports de 1934 appartenant à la collection Pearl du Suisse Fritz Burkard, c’est cette dernière qui a emporté le Best of Show. Pebble Beach a donc sacré l’authenticité et la préservation. Le concours d’élégance américain suit ainsi le salon de Rétromobile qui a créé en début d’année le Trophée de la préservation.
Est-ce la fin des restaurations à l’américaine? Il est encore trop tôt pour le dire mais les amateurs commencent à accorder leurs faveurs aux automobiles jamais restaurées et dans leur jus.
Avec ce Best of Show, Bugatti égale Mercedes au nombre de victoires: 10 chacun. Il est probable que le jury du concours d’élégance ait été conquis par l’histoire hors norme de la Bugatti 59. Première des six Type 59 produite, elle est la plus désirable de toutes. Cette voiture a défendu les couleurs de la maison de Molsheim en grand prix avant de devenir la propriété du roi Léopold III de Belgique.
L’aventure de la plus célèbre des 59
Prenant la suite de la 51 dans les Grands Prix, la 59 fut développée pour barrer la route des Alfa Romeo Tipo B au cours de la saison 1934. La 59 fut dévoilée pour la première fois le 24 septembre 1933 à l’occasion du grand prix de Saint Sébastien. Plus élancée et plus basse que ses devancières, elle marque l’apogée d’une lignée prestigieuse de Bugatti de grands prix. A son volant, les plus grands pilotes de la firme de Molsheim se sont relayés.
S’il est impossible de relater fidèlement ses états de service puisque l’usine consignait les pilotes par numéro de moteur et non avec les numéros de châssis, la 59 de la vente a été engagée par l’usine durant la saison 1934. René Dreyfus l’a mené à la victoire au grand prix de Belgique sur le circuit de Spa-Francorchamps, devant la voiture sœur de Brivio. Elle se classera 3ème du grand prix de Monaco. Nuvolari au volant d’une autre 59 termine à la cinquième place. À la fin de la saison, s’estimant plus de taille à lutter face à l’offensive allemande malgré les performances de ses 59 à moteur 8 cylindres à compresseur, Ettore Bugatti préféra renoncer à s’aligner dans les grands prix.
Quatre 59 de la série furent cédées à des Anglais enthousiastes. Il conserva la première et la transforma en voiture de sport avec une nouvelle carrosserie, des ailes moto, le réservoir d’huile sur le côté gauche du cockpit et une nouvelle boîte de vitesses à quatre rapports synchronisés. Désormais quasiment une biplace, la 59 reçut le numéro de châssis d’une voiture de route du Type 57 - 57248. Durant la saison 1937, ce joyau de l’histoire de Bugatti remporta de nombreux succès, dominant ses principaux rivaux. Le 21 février à Pau, Jean-Pierre Wimille remporta une éclatante victoire devant les Talbot et les Delahaye. Surnommée affectueusement la «Grand-mère» par les mécaniciens de Molsheim, 57248 prit part à la campagne d’Afrique, remportant le grand prix d’Algérie.
Le 18 juillet, Wimille prit pour la dernière fois le volant de la 59 au grand prix de la Marne disputé sur le circuit de Reims, terminant 1er, trois minutes devant la Talbot de Divo. À la fin de la saison, le roi Léopold III de Belgique, fidèle client de Bugatti, manifeste le souhait d’acquérir la 59 de sport. S’il est toujours ravi de vendre ses anciennes voitures de course, Ettore Bugatti n’est pas peu fier de céder sa 59 à son plus illustre client. Avant qu’elle ne rejoigne le garage du château de Laeken, la Bugatti de course s’offre quelques perfectionnements pour un usage routier et une nouvelle livrée: noire avec un liseré jaune, la couleur symbolisant la Belgique dans les épreuves sportives. La manière dont le roi a utilisé sa Bugatti qui était l’un des véhicules les plus performants de son époque est restée méconnue mais on peut penser qu’à l’approche de la guerre, elle a été remisée. Le roi et sa femme, Liliane Baels, furent déportés en Allemagne en juin 1944. Après la guerre, la famille royale s’établit en Suisse.
Le roi ne pouvait pas rentrer en Belgique jusqu’au règlement de la question fondamentale, à savoir s’il devait ou non quitter le pays en 1940 pour continuer la lutte plutôt que de se constituer prisonnier. L’accession de son fils aîné Baudouin avait apaisé les esprits et le roi put rentrer chez lui. Il abdiqua le 16 juillet 1951 et il fallut attendre l’année 1959 pour que l’ancien monarque décide de quitter le domaine de Laeken pour s’installer avec sa famille au château d’Argenteuil, dans la province du Brabant wallon.
Bien évidemment, la Bugatti fit partie du déménagement. Si la passion de Léopold III pour les voitures de sport ne s’était pas émoussée, elle s’était désormais portée sur les productions Ferrari. Il avait même transmis le virus à sa deuxième femme, Liliane de Réthy, que l’on a souvent vu à Maranello suivre la réalisation des commandes sur-mesure. En 1967, la Bugatti est acquise par le bruxellois Stéphane Falise.
Pendant deux décennies, ce joyau se fera oublier. Enfin pas totalement puisque la légende veut que suite au décès du roi en 1983, sa veuve a cherché à le racheter. En vain. Six ans plus tard, Falise vend la 59 au collectionneur américain Robert Rubin. La voiture est entièrement restaurée, à l’exception de la carrosserie qui conserve sa patine royale. La voiture devient ensuite la propriété d’Anthony Wang. Cet amateur de Ferrari n’éprouve guère de plaisir à rouler avec ce véhicule d’avant-guerre qui finit par revenir en Europe pour entrer dans la collection d’Hubert Fabri. Respectueux de l’histoire de sa machine, ce grand passionné ne touchera pas à la carrosserie qui se présente aujourd’hui avec la patine du temps mais toujours dans sa livrée royale.
En septembre 2020, en raison de problèmes de santé, Hubert Fabri a cédé la Bugatti «royale» ainsi qu’une grande partie de sa collection lors d’une vente aux enchères organisée par la maison Gooding & Company à Londres.
Source : lefigaro.fr-Merci DAVID SARDA pour le suivi de l'info...