CITROËN SM Injection : La GT française au cœur italien a 50 ans...
En cinq ans, la SM a su incarner le haut de gamme français en rassemblant tout le savoir-faire Citroën dans une auto. Véritable œuvre d’art sur roues, elle utilise les suspensions hydrauliques de la DS et le du moteur de l’Indy. Au Salon de Genève 1970, elle provoque l’émotion du public et cartonne. Hélas, la GT française arrive dans un contexte difficile et doit prendre sa retraite cinq ans plus tard.
Lorsque j’ai contacté Bernard Clavé pour lui proposer un entretien téléphonique, j’ai vu que j’avais affaire à un amoureux de la SM.
Pour ce connaisseur à l’accent chantant, la grande Citroën reste sans doute la voiture qui l’a le plus marqué durant son enfance. « Lorsque j’étais gamin, précise ce dernier, il y en avait une à Mont-de-Marsan. J’étais admiratif face à cette voiture et je n’aurais jamais pensé qu’un jour j’en aurais une ! » Retour sur un véhicule unique qui a fait rêvé toute une génération.
LA VOITURE DES ÉLITES DE LA RÉPUBLIQUE
La SM n’est pas la première Citroën à accéder à la cour de l’Elysée. Il y eut aussi la fameuse Traction 15-Six, les DS 19 et 21, la CX Prestige, la C6 et la Citroën DS 5. Mais au début des années 1970, Georges Pompidou commande deux exemplaires de SM Opéra cabriolet, plus grande que la normale puisque cette version atteint 5,60 m. Véritable paquebot roulant, cette dernière servira à véhiculer la reine Elizabeth II en 1972 puis le pape Jean-Paul II en 1980. Voiture de chefs d’état, on pensait cette belle SM à la retraite après le décès de Pompidou.
Mais lors de son mandat, Valéry Giscard d’Estaing la sort du garage. Ses successeurs, François Mitterrand et Jacques Chirac, feront de même. A l’époque, les élites de la République cherchaient dans cette auto l’excellence française qu’elle symbolise toujours, grâce à ses innovations et son style particulier.
UN OVNI SIGNÉ ROBERT OPRON
Mais il n’y a pas que les présidents qui tombent sous le charme de cette SM. Au salon de Genève 1970, ce sont les visiteurs qui portent de l’intérêt à la voiture. Son design en forme d’ovni, propre à Robert Opron, interpelle car la fluidité de sa ligne est adaptée aux résultats obtenus en soufflerie. Exit donc les arêtes vives !
De plus, la chose la plus intéressante dans l’esthétique est ce carénage de verre qui reçoit les phares et la plaque d’immatriculation, évitant ainsi une rupture de ligne. On retrouve donc les entrées d’air sous le pare-choc pour refroidir le bloc moteur et les freins à disques. On aime que le quai de Javel ait permis une grande liberté d’expression à l’équipe du bureau de style. Sa seule exigence était que l’aérodynamique soit au top pour rester dans la lignée de la DS. On peut dire que les designers ont réussi leur pari puisque le coefficient de pénétration dans l’air – que l’on appelle aussi…
Cx ! – est en amélioration de 25 % par rapport à celui de la DS. Bernard Clavé aime à dire que cette voiture est « vraiment impressionnante car elle n’a rien avoir avec une DS ou même une 2 CV. » Et personne ne le contredira.
LE GRAND LUXE
Dans l’habitacle, c’est le grand luxe. La GT 4-places possède des cadrans ovales originaux et une planche de bord qui reste lisible grâce à son volant monobranche. Bernard apprécie « le levier de vitesse avec cette grille qu’il trouve sympathique. » Par contre, il vient à regretter la disposition si particulière de l’autoradio, typique des Citroën. Côté équipement, il est complet.
L’auto est même en avance sur son temps avec le volant réglable en hauteur et en profondeur : une première en Europe ! Quant au confort, Bernard est catégorique : « je peux vous assurer que l’assise est parfaite ! Si l’on doit faire un long voyage, c’est l’idéal. » Mais le design n’est pas le seul à faire impression. Car en effet, « la fille du vent » possède un moteur italien.
UN V8 MASERATI TRONQUÉ
L’autre argument qui fait de cette SM une grande voiture est qu’elle embarque de la technologie. Parfait pour le créneau qu’elle convoite ! Grâce à l’accord Citroën-Maserati signé en janvier 1968, Giulio Alfieri se voit confier la responsabilité d’élaborer son moteur. Mais il est déçu de ne pas avoir la permission de mettre un V8 pour des raisons de fiscalité et de normes. Mais qu’importe, il agit ! Pour accomplir cette tâche, il prend le bloc de la Maserati Indy (voir RPA N°270) et l’ampute de 2-cylindres. Le V6 de 2.7 litres à carburateur développe une puissance de 180 ch SAE à 6 250 tr/mn – soit 170 ch DIN à 5 500 tr/mn – pour une vitesse maxi de 220 km/h.
Concernant la version à injection, elle gagne 8 chevaux supplémentaires. Dans un premier temps, la « nervosité transalpine » du bloc est appréciée. Hélas comme le précise Bernard, « les mécaniciens de chez Citroën n’étaient pas formés et n’avaient pas l’expérience pour travailler sur un bloc Maserati. Les voitures revenaient régulièrement pour l’entretien et les gens fuyaient l’auto. » Du coup, il y eu beaucoup de casse moteur au niveau des chaînes primaires et secondaires car elles n’étaient pas tendues comme le préconisait Maserati. Mais Bernard, qui fait partie du SM Club de France, relativise : « aujourd’hui, il est très rare que quelqu’un casse un moteur parce qu’on le fiabilise. On met désormais des soupapes d’échappement pleines alors qu’à l’origine, elles étaient au sodium. » Généralement, les propriétaires de SM déposent le moteur à 80 000 km pour changer les chaînes et le tendeur. Bernard poursuit : « si vous apportez un entretien régulier, il n’y a pas de raisons que votre moteur casse. »
La bonne idée des ingénieurs est d’avoir accouplée la boîte manuelle 5-rapports, dérivée des boîtes de D Super 5 et de DS 23, car elle procure une grande souplesse de conduite qui rend l’auto agréable. A cela s’ajoute un puissant système de freinage équipé de quatre freins à disque. En plus de ce moteur transalpin, la SM renferme d’autres technologies intéressantes, dont certaines ont été testées sur la DS. La suspension hydropneumatique, qui n’a plus à faire ses preuves, bénéficie d’une belle maturité de 16 ans d’âge. Elle procure un sentiment de confort et de sécurité inégalables. Bernard ajoute qu’avec cette suspension, « dans les courbes, la tenue de route est exceptionnelle.
Mais bien sûr, ce n’est pas non plus une Xantia Activa ! » Concernant la conduite, « ce n’est pas une sportive non plus, elle est même lourde !Mais il faut se remettre dans le contexte des années 1970… Qu’est-ce qui était aussi bien qu’une SM ? La tenue de route était phénoménale et la direction parfaite. » En effet, cette direction assistée « DIRAVI », conçue spécialement pour la SM, facilite la vie de celui qui prend le volant. Développée par Paul Magès, celle-ci permet de faire des manœuvres légères sur les parkings et s’affermit à grande vitesse pour une conduite plus sûre et précise. La fameuse rampe optique à l’avant, développée par l’entreprise Cibié, apporte un brin d’originalité mais aussi un côté technique intéressant. En effet, les phares intérieurs pivotent dans les virages en fonction de l’orientation du volant.
Hélas au Etats-Unis, cette rampe disparait à cause des spécifications américaines sur la sécurité routière qui interdisent les phares sous globe de verre. Ceux-ci seront remplacés par quatre phares ronds fixes… et sans âme. Enfin, précisons que la SM est la première voiture à recevoir un pare-brise collé.
ARRIVÉE DANS UN CONTEXTE DE CRISE
Entre 1970 et 1975, la SM s’est construite à 12 920 exemplaires. C’est donc un échec ! Pourtant, elle a contribuée à l’image de la marque française. En effet, 50 ans après, on se souvient de cette automobile comme la plus grande et la plus prestigieuse des Citroën d’après-guerre.
Hélas, les techniciens du réseau Citroën n’étaient pas formés à réparer le bloc Maserati. De plus, elle est arrivée à l’aube de la crise pétrolière de 1973 et au moment où l’état a instauré les limitations de vitesse sur les routes. Un contexte difficile pour une auto qui a été conçu pour rouler vite et qui consomme plus qu’une citadine. Pourtant, l’histoire suit son cours et le cinquantenaire de la SM se déroulera en 2020 dans le secteur de Chantilly. Un événement que Bernard Clavé et sa SM ne sont pas prêts de manquer.
La SM Injection de Bernard Clavé
Le 6 septembre 1973, un capitaine de vaisseau qui était attaché naval auprès de l’ambassade de France à Rome, achète cette magnifique SM Injection, de couleur bleu de Brégançon.
Un mois plus tard, il l’emmène chez Henri Chapron, et fait poser un toit ouvrant électrique. Sur les 12 920 exemplaires, moins de 10 ont été fait avec ce toit ouvrant Chapron. Par la suite, cette personne est revenue en France et Bernard en est le troisième acquéreur.
Source : Jack Stou-Romain ORRY-Photos Thierry Lesparre-retropassionautomobiles.fr/VersuS Production
VersuS Production