A la proue des modèles du constructeur munichois, la double calandre, marqueur identitaire de la marque, s’étire et change de forme. Suscitant un débat stylistique.
Haricots ou naseaux pour les francophones, rognons pour les Anglo-Saxons (kidneys) et les Allemands (nieren). Peu importe le sobriquet ; la double calandre qui trône à la proue des BMW s’est imposée comme le principal marqueur identitaire du constructeur de Munich. Depuis la 303 de 1933, ce signe de reconnaissance permet d’identifier à coup sûr ses modèles, quelle que soit l’époque ou le genre. Même les versions électriques, qui n’ont pourtant nul besoin d’une telle entrée d’air, reçoivent une calandre mais celle-ci est pleine, dissimulant de multiples capteurs.
Depuis l’apparition de la Série 7, les narines frémissantes des voitures bavaroises se sont mises à muter. Comme s’il avait subi une injection massive de Botox, le double haricot s’est dilaté au point de se déployer sur toute la face avant, s’étirant entre les phares, absorbant le pare-chocs et dévorant parfois jusqu’à la plaque d’immatriculation.
Sur le coupé Série 4 ou le X5, il adopte une verticalité impressionnante mais pousse résolument en largeur à l’avant de la Série 5. La calandre de l’imposant X7, très apprécié aux Etats-Unis, s’agrandit dans toutes les dimensions alors que le concept-car iNEXT, annonciateur d’un gros SUV électrique, arbore d’improbables « rognons » siamois comme gonflés à l’hélium. Ces variations sur un même thème avancent un seul et unique parti pris : faire dans le spectaculaire.
Un surcroît de « présence »
Un tel feu d’artifice ne pouvait que mettre en émoi les passionnés de design automobile et susciter des réactions contrastées. Les unes dénoncent une dérive à la Frankenstein ou une course au gigantisme frisant le ridicule. Les autres célèbrent l’audace, la liberté de création et le sens de l’innovation de la marque. Ancien de la maison, le designer Frank Stephenson y est allé de son commentaire, jugeant « disgracieuse » la calandre de la nouvelle Série 4.
Le designer d’origine croate Domagoj Dukec (qui fit ses premières armes chez Citroën), nommé en 2019 à la direction du style BMW, a dû monter au créneau. Cette approche, a-t-il expliqué, vise à donner un surcroît de « présence » aux modèles de la marque voire, dans le cas du coupé Série 4, « exprimer la composante exotique de BMW ». « Quoi que vous fassiez, il y aura des gens qui aiment et des gens qui n’aiment pas », a-t-il philosophé.
Non sans prévenir que le bruissement des réseaux sociaux n’aurait aucun impact sur ses choix.
La marque allemande n’en est pas à sa première controverse stylistique. Au début des années 2000, les grandes berlines aux formes audacieuses et ventrues réalisées sous l’autorité de l’Américain Chris Bangle avaient déchaîné les passions avec autrement plus d’intensité. Cette polémique du haricot est d’autant plus sensible qu’elle s’attache à un élément – la calandre – hautement symbolique lorsqu’il s’agit de définir l’identité d’une marque allemande haut de gamme.
Or, ses fameux naseaux métalliques offrent à BMW davantage de marge pour différencier ses modèles que ses deux grands rivaux Mercedes et Audi, plus contraints en termes de style. On remarque ainsi que ses SUV et coupés adoptent une calandre plus originale que les berlines classiques Série 3 et 5 qui s’adressent à une clientèle plus conservatrice.
En se posant comme un constructeur en mouvement permanent, BMW cherche aussi à redonner de la vigueur à son image, quelque peu assagie ces dernières années, de marque désinhibée voire un tantinet clivante. Le constructeur n’en laisse rien paraître mais cette controverse n’est pas faite pour lui déplaire.
Source : lemonde.fr