Vivre plus vite, plus fort, comme on aime à mourir. Cet élan romantique trouve un écho vrombissant, dans un court-métrage en couleur de 8 minutes et 38 secondes tourné par Claude Lelouch en 1976 : C’était un rendez-vous. Une œuvre provocante pour l’époque, projetée en salle et sitôt retirée de l’affiche. On y voit un véhicule ou plutôt depuis un véhicule qui traverse Paris à tombeau ouvert, au mépris de toutes les règles.
L’apologie du chauffard, filmée au ras des pavés, pour augmenter la sensation de vitesse! Même pas une course-poursuite, comme dans le Bullit de Steve Mc Queen en 1968. Mais un pur moment de transgression. La vitesse pour la vitesse. Dans une France giscardienne qui s’éveillait aux impératifs de la sécurité routière, après avoir connu plus de 18.000 morts sur les routes en une seule année... Lelouch n’a déposé aucune autorisation pour ce tournage.
Et le soufre qui entourera ensuite l’interdiction de diffusion du film alimentera une légende: le pilote serait un coureur automobile dont le réalisateur cacherait l’identité pour le protéger d’éventuelles poursuites judiciaires. Les noms de Jean Ragnotti, Jacky Ickx, Jacques Laffite ou Jean-Pierre Beltoise furent avancés. Le silence de Lelouch entretiendra longtemps le mystère. Jusqu’à ce qu’il révèle, sur le tard, «c’est moi», «j’avais envie de le faire moi-même»,«l’intérêt de ce film, c’était de conduire». 5 heures 30, porte Dauphine. En ce matin d’août 1976 à la belle lumière naissante, Lelouch sait qu’il se lance dans une aventure délicate.
Il a équipé la calandre de sa Mercedes 450 SEL personnelle d’une caméra sur châssis tubulaire. Atout de cette automobile qui faisait sa fierté: un V8 6.9 litres de 286 chevaux, la plus grosse cylindrée d’Europe de l’ouest après-guerre, boîte automatique à trois vitesses, gage d’une conduite sans à-coups, et puis surtout des suspensions hydropneumatiques dérivées de celles de la DS Citroën, pour une meilleure stabilité. Le cinéaste n’a pas droit à l’erreur. Il ne peut y avoir qu’une prise et une seule. La pellicule contient une quinzaine de minutes de film tout au plus. Seul réglage autorisé: une télécommande manuelle pour actionner, depuis l’habitacle, l’ouverture du diaphragme de l’objectif.
Qu’importe! À l’image, l’effet est saisissant. Au carrefour de la rue de Rivoli et de la rue du Carroussel, sachant qu’il sera privé de toute visibilité, Lelouch a fait poster, par sécurité, son assistant de l’époque, Elie Chouraqui. Celui-ci, équipé d’un talkie-walkie, doit le prévenir d’un éventuel obstacle en approche. Aucun message de l’assistant sur l’autre émetteur-récepteur en veille dans la Mercedes. Lelouch fonce. Et passe sans encombre, pour attaquer de nouveau, entre l’Opéra, Pigalle et son Moulin Rouge. Ce qu’il ignorait, c’est que le talkie de Chouraqui était défectueux...
Il s’agit du mannequin Gunilla Friden, alors compagne de Claude Lelouch. Le silence vient de s’installer. On se souvient du claquement de la portière, du bruit des pas sur le trottoir, du tintement de l’angélus. Après une longue décharge d’adrénaline, un couple irradie, dans l’air léger des années soixante-dix. Cette ode à l’amour magnifié par la vitesse a conduit le père d’un homme et une femme à griller dix-huit feux rouges, emprunter une rue à contresens, rouler sur un trottoir. Heureusement que la prescription pénale le protège! Aujourd’hui les autorités n’hésitent plus à chasser les internautes qui postent sur la Toile les vidéos de leurs records d’imprudences. Lelouch, lui, laisse une œuvre d’artiste. Pour ajouter aux sensations du spectateur, il avait édité, le lendemain même de la prise de vue, une nouvelle bande-son pour son court-métrage, en enregistrant les rugissements, autrement plus éloquents, d’une autre de ses voitures, une Ferrari 275 GTB. La symphonie du V12 italien, ponctuée de crissements de pneus factices, a fait illusion. Et la censure, à l’époque, s’y est laissée prendre. Magie du cinéma.
Source : Laurel BMW of Westmont-lefigaro.fr