Comme dans le meilleur des scénarios, un triplé est même en train de se dessiner. La GT40 Mk II bleu pâle que Ken Miles partage avec Dennis Hulme mène la danse. Elle tient les voitures sœurs de Bruce McLaren-Chris Amon et Ronnie Buckum- Dick Hutcherson à distance. À mesure que l’on se rapproche du dénouement, l’état-major Ford imagine un plan pour marquer les esprits. Il se prend à rêver d’une arrivée triomphale où les trois Mk II de l’écurie dirigée par Carroll Shelby franchiraient la ligne d’arrivée côte à côte. La photo fera le tour du monde, pensent-ils.
Celle de McLaren-Amon. Pour 21 mètres! Les officiels ont estimé que McLaren, qui avait entamé le dernier tour avec 2 secondes de retard, avait effectué une moyenne supérieure et qu’il avait couvert une distance plus importante puisque sa position de départ était moins favorable que celle de Miles. On n’avait jamais vu ça. Ken Miles ne remportera jamais les 24 Heures du Mans. Deux mois plus tard, il se tue sur le circuit de Riverside (Californie) lors d’une séance de développement de la Ford J, la nouvelle arme du constructeur en endurance, construite autour d’une coque en nid d’abeilles.
«Cela m’a brisé le cœur de perdre Ken», avait alors admis Carroll Shelby. Le réalisateur James Mangold nous fait revivre l’ascension de Ford vers les sommets à travers le prisme de l’amitié entre Shelby, incarné à l’écran par Matt Damon, et Miles, joué par Christian Bale. Le jeu d’acteur est brillant, mais Peter Brock, le premier collaborateur de Shelby, affirme que le scénario est quelque peu romancé. Miles n’était pas un caractère difficile, mais un perfectionniste. Un vrai gentleman, honnête et droit. Les historiens relèveront également quelques anachromismes au cours des 2 h 30 du film.
«NOUS ALLONS LES BATTRE»
Miles était une légende en Californie au début des sixties. Né en Angleterre près de Birmingham, il avait émigré à Los Angeles après la guerre. Il s’était construit la réputation d’être l’un des pilotes parmi les plus rapides. Après avoir travaillé pour MG et Porsche, il avait ouvert son propre garage en 1961 dans la banlieue de Los Angeles. Début 1963, il devint l’un des pilotes phares de la marque Shelby, fondée par Carroll Shelby et qui a donné naissance à la fameuse AC Cobra. Qui s’en souvient? Pendant ce temps, Ford lance un programme sportif pour dynamiser son image.
Objectif: décrocher Le Mans. Pour gagner du temps, la marque à l’ovale bleu se met en tête d’acheter Ferrari. Des émissaires sont dépêchés à Maranello. Enzo Ferrari semble prêt à céder sa société, puis se ravise. Chez Ford, cette duperie passe mal, et la réponse se fait cinglante. «Nous allons les battre», dira Henry Ford II. Le rêve devient réalité trois ans plus tard grâce aux efforts conjugués de Shelby et Miles. Le Mans 66. Sur la grande planche en bois reposant sur des tréteaux et faisant office de podium, Henry Ford II, le petit-fils du fondateur de la marque américaine, a rejoint les vainqueurs.
On constate la présence de jéroboams de Moët & Chandon. Le comte Frédéric Chandon, cogérant de la maison sparnacienne, a tenu parole. «En cas de victoire de Ford, il s’était engagé auprès de Henry Ford II à lui offrir le champagne», raconte Jean Berchon qui fut directeur du patrimoine et de la communication de Moët. Comble du chic: il est servi dans des flûtes. Cela fait déjà plusieurs décennies que le vin de Champagne accompagne la cérémonie du podium. Le 12 octobre 1936, le champion italien Tazio Nuvolari remporte la Coupe Vanderbilt disputée sur le circuit de Mineola, près de New York. Les photos l’immortalisent un jéroboam de Brut Impérial Moët & Chandon dans les bras.
Les plus grandes maisons de champagne parrainent le circuit de Reims depuis sa naissance en 1925. C’est sous l’impulsion du Manceau Jean-Marie Dubois que les liens entre le sport automobile et le vin effervescent se renforcent. Lorsqu’il devient responsable des relations presse de Moët & Chandon, il propose deux axes de communication: les concours hippiques les plus réputés et les 24 Heures du Mans, qui ont bercé son enfance. L’homme n’est jamais à court d’idées. Il reçoit dans des tentes érigées dans le paddock, organise le dîner de gala le dimanche soir au restaurant des Hunaudières, tenu par Maurice Génissel. Le Club Moët s’installe même dans de véritables maisons, avec douches et chambres. En 1969, pour la dernière de ses quatre victoires consécutives, Ford devance Porsche de 120 mètres. Jacky Ickx est sacré pour la première fois.
Source : lefigaro.fr - Merci DAVID SARDA pour le suivi de l'info - FilmsActu