Elles peuplaient nos rues, nos parkings de supermarché, nos départs en vacances. Ces voitures françaises qui ont bercé nos souvenirs. Les R12, 204, Ami 8, Simca 1100, 404 break… Aujourd’hui, il faut un salon de collection pour en croiser une. Et encore. Leurs cousines prestigieuses squattent les projecteurs et font la une des magazines, mais ces anonymes racontaient mieux que quiconque la France des Trente Glorieuses. La France qui roulait simple Les années 60-70 : essence bon marché, routes nationales, garages de village, restos routiers. Et taxes sur les voitures importées.
Tout le monde roulait français : Renault, Peugeot, Citroën, Simca, Panhard. Pas de marketing, pas de SUV. Les voitures servaient, tout simplement.
Elles étaient partout. Dans les rues, les parkings des supermarchés Mammouth, les routes des vacances où les enfants s’endormaient à l’arrière sur la banquette en skaï. Des R12, 204, Ami 8, PL17, Simca 1100 : les autos de tout le monde.
On ne les regardait même plus ; elles faisaient partie du décor. Aujourd’hui, on s’extasie devant les 911, les Mercedes Pagode ou les 205 GTI, mais on a oublié celles qui ont porté la vraie France des Trente Glorieuses.
Ces voitures françaises ne valaient rien, ne brillaient pas, mais elles racontaient notre quotidien : le bruit des portières, la fumée bleue du démarrage, la radio qui grésille. Une époque où la voiture servait à vivre, pas à se montrer.
C’était la France des artisans, des profs, des familles le dimanche. Pas de chrome inutile, pas de ligne signée par un designer milanais : juste quatre roues, un moteur, et des kilomètres à avaler.
“Une voiture, c’était pour aller au travail et descendre à Palavas, pas pour afficher un statut.”
Les oubliées du progrès
Ces voitures françaises ont disparu sans qu’on s’en aperçoive. Les 4L et les 204 ont fini rongées par la rouille, les Simca 1000 ont été livrées au broyeur, les R6 et les Aronde ont pourri derrière les hangars. Personne n’a pensé à les sauver : on les changeait comme on changeait de poste de télé.
La modernité devait sentir le plastique neuf et la peinture métallisée.
Les dernières 304, GS ou Renault 16 ont été achevées par les « Balladurettes » et « Jupettes », ces primes pour la mise au rebut des voitures vieillissantes entre 1994 et 1996.
Le marché n’a conservé que les “icônes” : les princesses photogéniques. La 911 a survécu parce qu’elle faisait rêver, la 2CV parce qu’elle amusait les citadins, la Méhari parce qu’elle sentait le sable chaud. Les autres, les besogneuses, ont disparu. La collection s’est embourgeoisée : on restaure des GTI avec des gants blancs pendant qu’une 104 Z en bon état déclenche un fou rire. C’est injuste, mais c’est ainsi : le mythe paie, la mémoire s’oublie.
“On parlait de bagnole, pas de patrimoine.”
Le contraste avec aujourd’hui est cruel : la moindre épave de Golf GTI vaut un mois de salaire.
Quand les parkings racontaient la société
Regardez une photo d’époque : un parking de supermarché en 1975. Des R12, des 404, des Ami 8, toutes de couleurs vives.
On y lit la société tout entière : la France ouvrière, rurale, citadine, l’école de la République et les congés payés. Aujourd’hui, nos parkings sont des alignements de SUV gris qui se ressemblent tous : les autos ont perdu leur accent.
Ces voitures modestes avaient chacune une personnalité. On reconnaissait le bruit d’un démarreur Citroën, l’odeur d’une Renault au ralenti, la fumée d’une Simca mal réglée. C’était vivant. Le progrès a gagné en confort, mais il a tué la diversité. On ne verra plus une Ami 8 trimbaler des cageots ou une 404 break pleine de valises. Les voitures d’aujourd’hui sont propres, silencieuses, interchangeables : parfaites. Donc sans saveur.
Le tri sélectif de la mémoire
Les magazines et les réseaux sociaux recyclent toujours les mêmes icônes : 911, Deuche, Coccinelle, Mercedes, Roadster anglais, 205 GTI, Alpine A110. On les photographie sous tous les angles, on les cire jusqu’à la transparence.
Elles sont devenues des stars de salon. Pendant ce temps, les anonymes, les voitures du peuple, se meurent sans témoin. Bien sûr, on en croise parfois quelques-unes « Oh, regarde une Panhard » « Tiens, une Aronde » … Exceptions qui confirment la règle.
“On a gardé les princesses, on a jeté les filles du peuple.”
Ce n’est pas seulement une question de valeur, c’est une question de regard. On préfère la légende à la vérité, le poster à la photo de famille. Pourtant, ces voitures ordinaires ont accompagné nos premières vacances, nos premiers amours, nos premiers accrochages. Elles ont une valeur que nulle enchère ne peut chiffrer : celle de nos souvenirs.
Les vraies survivantes ?
De temps en temps, une 204 sort d’un garage, une R6 redémarre dans un champ. Les passants sourient : c’est une madeleine mécanique. Ces voitures sans prestige retrouvent un souffle grâce à quelques passionnés qui refusent la dictature de la cote.
Peut-être qu’un jour, on les redécouvrira pour ce qu’elles sont : les témoins d’une époque où la voiture était encore humaine.
Les 911, Mercedes et les GTI continueront à briller sous les spots, mais la vraie mémoire automobile dort dans les granges. Elle sent le carbu réglé trop riche et la poussière, elle parle de routes nationales et de restos routiers. Ces voitures qu’on voyait partout ont disparu du paysage, mais pas de nos cœurs.
Et si c’était elles, finalement, les vraies voitures de collection ?
Ces voitures françaises ordinaires qu’on ne regarde plus méritent qu’on les retrouve. Parce qu’elles sentent la vraie France : celle du plein à vingt francs, du pneu qui siffle sur la RN7 et du “on verra bien si ça passe”. Les stars du marché brillent, mais les anonymes, elles, ont laissé des traces sur la route… et dans nos vies.
Source : autocollec.com/par David VINCENT





