mardi 30 décembre 2025

CLUB5A - REPORTAGE AUTO - Le kilométrage : le chiffre idiot qui a pris le pouvoir sur la voiture de collection...

 

Il fut un temps, pas si lointain, où le kilométrage d’une voiture ancienne n’était qu’une information parmi d’autres. Un détail. Une donnée brute, parfois approximative, souvent invérifiable. Aujourd’hui, c’est devenu un fétiche. Un totem. Un juge de paix. 100 000 km ? Trop. 150 000 km ? Fuyons. 200 000 km ? “Epave”, même si le moteur tourne comme une horloge suisse. Bienvenue dans l’ère de l’obsession du kilométrage, ce moment étrange où un chiffre affiché derrière une vitre en plastique a pris plus d’importance que l’état réel de la mécanique, l’historique d’entretien ou la cohérence globale de l’auto. Et si on se disait les choses franchement : cette obsession est en train de tuer ce qui faisait le charme même de la voiture ancienne. 
 Le kilométrage : une invention moderne appliquée à des voitures anciennes Le premier problème, c’est qu’on applique une grille de lecture contemporaine à des voitures conçues dans un autre monde. Dans les années 50, 60 ou même 70, personne ne parlait de “kilométrage certifié”. Les compteurs à cinq chiffres repassaient à zéro sans prévenir, les carnets d’entretien étaient approximatifs, et la notion même de “traçabilité” n’existait pas. Une Peugeot 404, une Mercedes W123, une Saab 900 ou une Jaguar XJ n’étaient pas pensées pour devenir des objets de spéculation. C’étaient des machines à rouler, parfois beaucoup, parfois longtemps, souvent les deux. Exiger aujourd’hui d’une voiture de 40 ou 50 ans qu’elle affiche moins de 80 000 km, c’est comme reprocher à un arbre de n’avoir pas poussé. C’est absurde. Le fantasme du “faible kilométrage” : une illusion rassurante Un chiffre bas donne l’illusion que le moteur est neuf, que la boîte est préservée, que les trains roulants sont “comme neufs”, que la voiture a été aimée, choyée, protégée. 
Une ancienne qui roule peu, très peu, est une voiture qui a parfois passé des années sans démarrer, qui a vu ses joints sécher, ses durites durcir, ses circuits s’encrasser, qui a été stockée “au sec” mais sans vraie maintenance. Le faible kilométrage n’est pas un gage de santé. C’est parfois même un signal d’alerte déguisé. 180.000 km bien vécus valent mieux que 60.000 km mal compris Une voiture ancienne qui a roulé régulièrement est une voiture qui a vécu dans son élément naturel. Les moteurs aiment tourner. Les boîtes aiment passer des rapports. Les freins aiment être sollicités. Les joints aiment être lubrifiés. Une voiture qui roule, c’est une voiture qui est entretenue, qui est fiablisée. Un six cylindres Mercedes avec 220.000 km et un historique limpide sera presque toujours plus fiable qu’un modèle “sorti de grange” à 70.000 km, immobilisé depuis quinze ans. Mais ça, ça demande de lire des factures. De parler avec le vendeur. 
De comprendre une auto. Bref : de faire un effort. Le kilométrage est devenu un raccourci mental… et un outil marketing Soyons honnêtes : le kilométrage est devenu une arme de vente massive. “Seulement 84 000 km !” “Kilométrage exceptionnel pour l’âge” “Auto rare, très peu roulée”. Peu importe que le moteur ait été refait, que le bloc compteur ait été changé, que la voiture ait changé trois fois de pays, que personne ne puisse expliquer pourquoi elle n’a presque jamais roulé. Le chiffre est là. Et il fait le travail. Dans un marché saturé d’annonces, le kilométrage est devenu le titre accrocheur, le clic facile, l’argument qui permet de demander 20 ou 30 % de plus sans rien prouver. Les experts le savent : le kilométrage est souvent le dernier des critères à prendre en compte Parle avec un vrai spécialiste. Avec un motoriste. Avec un restaurateur. Avec un vendeur qui voit passer des autos tous les jours. Ils te diront tous la même chose : le kilométrage arrive après l’état général, l’usage, l’entretien et la cohérence de l’auto. Soyons francs : oui, le marché aime les faibles kilométrages. 
Oui, certaines ventes aux enchères entretiennent ce fétichisme. Mais vouloir absolument acheter une voiture ancienne comme un actif financier, c’est oublier une chose essentielle : une voiture n’a de valeur que si elle fonctionne, roule et procure du plaisir. Sinon, autant acheter une montre sans mouvement. Un moteur refait à 140.000 km est souvent plus durable qu’un moteur “d’origine” à 90.000 km vidangé deux fois dans sa vie. Une boîte révisée vaut mieux qu’une boîte “jamais ouverte”. Une auto qui a roulé tous les étés vaut mieux qu’une auto “hibernée” pendant vingt ans. Une Porsche qui a avalé de l’Autobahn vaut mieux que celle qui n’a servi qu’à aller au resto le dimanche midi pendant 20 ans. Mais ça, ça ne rentre pas dans une ligne d’annonce… Le drame silencieux des voitures qui ne roulent plus Cette obsession a une conséquence directe, et elle est dramatique : les voitures ne roulent plus. 
 Des autos parfaitement utilisables deviennent des objets figés, préservés à l’excès, de peur de “faire grimper le compteur”. On hésite à partir en week-end. On évite les longs trajets. On choisit la remorque plutôt que la route. Une voiture ancienne qui ne roule pas devient fragile. Puis capricieuse. Puis pénible. Puis invendable autrement que comme “projet”. Tout ça pour préserver un chiffre. Le kilométrage, cette fausse science exacte Autre réalité qu’on préfère ignorer : sur une ancienne, le kilométrage est rarement fiable à 100 %. Bloc compteurs changés. Compteurs bloqués ou cassés. Compteurs qui ont fait un ou deux tour de cadran. Compteurs réparés, Remplacement miles/kilomètres à l’importation, etc … Même sans malveillance, le chiffre est souvent une estimation. Une approximation. Un ordre de grandeur. 
Le traiter comme une vérité absolue relève plus de la croyance que de la mécanique. Ce qui fait la valeur et l’intérêt d’une voiture ancienne, ce n’est pas son compteur. C’est sa cohérence globale, son état mécanique réel, la qualité de ce qui a été refait (ou pas), son usage passé, la logique de son histoire Une auto qui raconte quelque chose. Une auto qui démarre, roule, freine et inspire confiance. Une auto qu’on a envie d’utiliser, pas de surveiller. Le vrai luxe aujourd’hui : une ancienne qu’on ose conduire Le vrai luxe, ce n’est pas une auto à 45 000 km “matching numbers” qu’on sort deux fois par an. Le vrai luxe, c’est une ancienne qui démarre sans stress, qui prend la route sans calcul, qui accepte les kilomètres sans culpabilité Une voiture qui a dépassé le stade du fétiche pour redevenir ce qu’elle a toujours été : un moyen de transport passion. 
Le compteur n’est pas ton ennemi À force de vouloir des voitures “comme neuves”, on finit par acheter des voitures qui ne vivent plus. Des anciennes figées, aseptisées, terrorisées à l’idée de dépasser les 3.000 km par an. Des voitures qui sentent plus le garage chauffé que l’essence chaude. Le vrai scandale, ce n’est pas une ancienne qui affiche 220.000 km. Le vrai scandale, ce sont ces autos qui n’ont pas roulé depuis dix ans, vendues comme des joyaux, mais incapables d’aligner 200 kilomètres sans suinter de partout. Une voiture ancienne n’est pas une action spéculative, ni un chiffre sur un compteur. C’est une mécanique vivante. Elle mérite mieux que des fantasmes de tableur et des annonces obsédées par des kilomètres parfois imaginaires. Alors oui, regardez le kilométrage. Mais surtout, regardez ce que la voiture raconte quand elle roule. Le reste, c’est du marketing pour collectionneur anxieux. 
Source : autocollec.com - Merci Michel TERRATS pour le suivi de l'info...