DANS MON GARAGE - Chaque semaine, des automobilistes présentent au Figaro leurs véhicules d’exception. Aujourd’hui, nous rencontrons Fabrice qui a redonné vie à un Berliet GLC8 de 1957, véhicule emblématique des Trente Glorieuses.
La famille Foulon peut remercier son petit dernier. Fabrice, bientôt quadragénaire, a fait renaître le souvenir de la scierie familiale à travers son historique camion, un Berliet GLC8 de 1957.
Le véhicule a servi jusque dans les années 80 à transporter du bois chez les clients. « C’était la vitrine de l’établissement, peint aux couleurs de l’entreprise Foulon Scierie. Le symbole des Trente Glorieuses , une époque où l’entreprise marchait bien. Mais avec les évolutions, les exigences du contrôle technique , il a nécessité pas mal de frais, et ma famille avait décidé de le laisser de côté...sans pour autant s’en séparer», raconte Fabrice.
Dans les alentours de Saint-Omer, entre Calais et Dunkerque, le véhicule de la scierie familiale a donc longtemps dormi dans un coin de pâture, oublié des hommes, proche de la nature. Cette dernière a logiquement repris ses droits ; le camion était complètement recouvert de végétation, devenu presque invisible, tout de vert vêtu. «Je l’ai sorti de ses lianes en 2016, entouré de ronces, avec un arbre qui poussait à travers la cabine. L’état était catastrophique », témoigne le petit-fils du premier propriétaire.
Fabrice était décidé à entamer la restauration. L’idée de retaper le camion a longtemps été un « serpent de mer » dans la famille. « On se disait toujours : un jour, on le refera.
Mais on n’a jamais eu le temps ou la possibilité de s’y mettre. Je ne suis pas bricoleur, je n’ai aucune expérience, mais je voulais le refaire pour le mettre en décoration devant l’entreprise».
C’est au contact d’un client de la scierie passionné de camions anciens que Fabrice se lance, armé «de tutos YouTube», et de «beaucoup de persévérance», se lance. Nous sommes alors en 2016.
Vive la «rétro-ingénierie»
Retrouver des pièces d’origine pour un Berliet de 1957 s’est vite révélé être un casse-tête. « C’était mission impossible », confie Fabrice. Les pièces détachées sont introuvables dans le commerce traditionnel, et les rares éléments disponibles sur le marché de la collection sont souvent hors de prix ou dans un état déplorable. Face à ces obstacles, Fabrice n’a eu d’autre choix que de se lancer dans ce qu’il appelle de la « rétro-ingénierie ». Il a fallu démonter chaque élément, comprendre comment il avait été conçu à l’époque, puis le fabriquer à l’identique, parfois à partir de rien.
Pour mener à bien cette tâche, qui s’apparente à une enquête, Fabrice a sollicité les anciens de la région, ceux qui, autrefois, avaient travaillé sur ce genre de véhicules.
Grâce à leurs souvenirs, leurs conseils et parfois même leurs outils, il a pu reconstituer des pièces disparues, redonner forme à la carrosserie, ressouder les éléments rongés par la rouille. La sellerie, elle aussi, a été entièrement refaite, dans le respect des matériaux et des couleurs d’origine. Même la peinture a été restaurée à l’identique, pour que le camion retrouve son allure d’antan.
Le moteur gronde à nouveau
Le défi le plus impressionnant restait le moteur. Resté muet et immobile pendant plus de trente ans, il était envahi par la poussière, la rouille et même quelques toiles d’araignées. Il a fallu tout démonter, pièce par pièce, nettoyer, lubrifier, remplacer ce qui ne pouvait plus être sauvé.
Pendant des mois, Fabrice a travaillé avec patience, souvent le soir après le travail. Puis, un soir de décembre 2018, est venu le moment de vérité. Après avoir soigneusement tout remonté et vérifié, Fabrice a amorcé le moteur. Et à son grand étonnement, ce dernier a repris vie sans hésiter : « Il a démarré au quart de tour », se souvient-il.
Jusqu’en 2024, le chantier de restauration avance au gré du temps libre et de la motivation de l’intéressé. «Parfois, je pouvais passer trois heures à débloquer un simple boulon, dans ce cas c’était un peu usant, et je prenais ensuite 15 jours sans toucher au camion».
Mais en cette année olympique, tout s’accélère. L’exposition Audo’Mobiles de Saint-Omer approche à grands pas. C’est le rendez-vous incontournable des passionnés de véhicules anciens de la région. Cette édition a une saveur toute particulière : elle coïncide exactement avec l’anniversaire de son père, le 2 juin, rendant l’échéance encore plus symbolique.
Il n’est plus question de prendre du retard. Fabrice souhaite présenter le camion restauré à cette occasion.
Il se lance à corps perdu dans les derniers travaux, multipliant les soirées et les week-ends dans l’atelier familial.
Le 2 juin, après des années de travail et parfois de doutes : le camion est enfin prêt. La renaissance d’un mort-vivant a quelque chose de formidable, certains reconnaissent le logo de la scierie Foulon, d’autres se souviennent avoir aperçu ce camion sur les routes il y a plusieurs décennies.
Désormais, Fabrice réserve l’usage du camion à des occasions spéciales : des expositions de véhicules anciens, des rassemblements locaux ou parfois une petite sortie sur quelques centaines de mètres, juste pour le plaisir de le voir rouler. Le Berliet, même remis à neuf, reste un camion d’un autre temps. «Techniquement, il est possible de le conduire, mais il faut s’y préparer ! », sourit Fabrice.
L’engin n’a rien à voir avec les véhicules modernes : pas de direction assistée, une suspension rudimentaire, des freins d’époque… Chaque manœuvre demande de la force et de la concentration.
Le moindre virage devient un exercice physique, et la moindre aspérité sur la route se fait sentir jusque dans la cabine. «On est secoué dans tous les sens».
Ce retour en arrière donne à Fabrice une profonde admiration pour les chauffeurs d’antan : « J’ai un immense respect pour ceux qui conduisaient ça à l’époque». Avec sa carte grise d’époque, sa plaque identique depuis 1957, le Berliet Foulon est devenu un petit musée roulant. C’est un peu un musée des Trente Glorieuses à lui seul.
Source : lefigaro.fr - Merci DAVID SARDA pour le suivi de l'info...